Alain Paucard, entre admiration et colère

L’œuvre d’Alain Paucard prend, au fil des ans, une dimension imposante. En attestent, si je sais compter, quelque trente-six livres publiés à ce jour, dont certains ont connu des rééditions, d’autres, épuisés, mériteraient le même sort. S’y succèdent ou s’y côtoient, pêle-mêle, romans, essais, souvenirs, biographies, pamphlets, sans compter des recueils collectifs. Œuvre copieuse, donc. Certains ajouteraient disparate. Bien à tort. Car, outre que chacun de ses ouvrages dessine, fût-ce en creux, le portrait de son auteur, l’ensemble présente une cohérence que l’on pourrait dire supérieure.

 

Des lignes de force le traversent. Des constantes, des thèmes récurrents, mais abordés chaque fois sous un angle original : l’amour du Paris de son enfance, l’horreur suscitée par l’urbanisation délirante qui l’a défiguré. Plus généralement, par la bêtise d’une époque tympanisée par les media, vouant un culte aux Bobos de tout poil, portant au pinacle le conformisme et le dévoiement du sens artistique – sans parler de la perte du sens civique et du matérialisme triomphant. Notable aussi, le culte inconditionnel d’Elvis Presley (il cite son nom, sous le moindre prétexte, dans tous ses ouvrages…).

 

En contrepoint, la nostalgie de l’ancien temps, de ce passé qui fut celui de Marie-Jeanne, sa grand’mère. Un temps où la France était encore la France et dont il se fait, à son tour, « une certaine idée ». Bref, l’œuvre d’un chantre de la liberté, de l’indépendance. D’un Résistant qui pourrait faire sienne la boutade de Giraudoux ; « Dans un monde de fuyards, celui qui va de l’avant aura l’air de fuir. »

 

Avec cela, un culte de la femme prenant parfois (parfois seulement) les allures de la misogynie, qu’il lui est arrivé de considérer comme un des beaux-arts. Comment ne pas y succomber, du reste, à entendre le discours et les agissements hystériques des chiennes de garde et autres femen ? « Un siècle de féminisme a transformé l’homme en concept, en idéologie, en vue de l’esprit, en objet d’étude, en tout ce qu’on veut sauf qu’il n’en est plus un », écrit-il, et on ne peut que souscrire à la justesse du propos.

 

Il faut ajouter à cela une admiration aussi suspecte qu’assumée pour ceux qui exercent un pouvoir sans partage. Voire une tyrannie, si l’on veut bien appeler les choses par leur nom. Comment expliquer, sinon, outre les ouvrages où Staline apparaît en héros, son auto-proclamation de Président à vie du Club des Ronchons, association anti-démocratique par excellence, qu’il a fondée et dont il tient les rênes d’une main de fer dans un gant de fer ?

 

Ainsi, dans cette cohérence, s’inscrit La France de Jean Gabin (1). D’abord parce que, fidèle à l’esprit de la collection que dirige, chez Xenia, Alain Paucard, il ne s’agit pas d’une biographie stricto sensu. Encore moins dans l’acception universitaire du terme, avec l’aspect rébarbatif que les Américains, grands amateurs de notes de blanchisseuse, ont porté à son sommet. Plutôt d’une évocation. D’un portrait évolutif dont il avait déjà donné l’exemple avec La France de Michel Audiard. Le présent ouvrage se situe donc dans la continuité, adopte les mêmes perspectives.

 

Ensuite parce qu’une thèse y court en filigrane : tout au long de sa carrière et de la diversité des rôles joués, Gabin a incarné la France. Qu’il appartienne aux « grandes familles » ou au monde ouvrier, qu’il incarne un bourgeois ou un malfrat, un paysan ou un militaire, il n’a jamais cessé de renvoyer un reflet fidèle de l’époque. « Bref, il fut la société française, assure Paucard. Il est toujours la France. Qui le conteste ? » Il faut, à l’évidence, entendre qu’il s’agit, en l’occurrence,  du « cher et vieux pays » dont nous ne connaissons plus que la caricature.

 

De ci, de là, quelques coups de griffe bien dans la manière de l’auteur. Il n’aime pas Truffaut (ni, d’une façon générale, la Nouvelle Vague), assène quelques jugements tranchés et tranchants à l’encontre de ceux qui se permettraient d’émettre la moindre réserve sur le génie de son héros. Il est vrai qu’il connaît celui-ci mieux que quiconque. Que son érudition en matière de cinéma est impressionnante. Ce chantre de la Série B a tout vu. Rien ne lui échappe du contenu des génériques, ni de la filmographie de Gabin. Il en déroule le fil avec gourmandise, se meut à son aise dans les détails des scénarios. Sa force de conviction est telle qu’on finit par partager son culte. Preuve que son livre est une réussite.

 

Avec le Manuel de résistance à l’art contemporain (2), dont l’édition princeps date de 2009 et qui reparaît aujourd’hui, c’est un autre versant de sa personnalité qui est mis en valeur, celui du pamphlétaire. Celui-ci a certes fait ses preuves en plus d’une occurrence. Bien connues, sa verve, sa gouaille, son ironie. Elles ont contribué et contribuent à façonner son image de non-conformiste prompt à dénoncer les laideurs et les vilenies de son temps, au mépris de l’opinion commune. 

 

Or de tous les libelles qu’il a écrits – contre les architectes et les « criminels du béton », la pseudo-culture imposée à tous, le comportement moutonnier de nos contemporains –, celui-ci est le plus abouti. Il se présente sous les espèces non d’un traité théorique, mais, comme son titre l’indique, d’un manuel. A savoir que le côté pratique y est privilégié, chaque court chapitre débouchant sur un « résumé à apprendre par cœur ». C’est dire que l’humour n’en est pas absent, ce qui suffirait à le différencier des œuvres commises par les artistes « contemporains ». Un adjectif abusivement employé pour qualifier les adeptes d’un art indigent, devenu officiel et, par là, hégémonique. Une dénonciation qui rejoint celles des écrits d’un Georges Mathieu, d’un Jean-Louis Harouel (Cultures et Contre-Cultures, 1994, plusieurs fois réédité).

 

La thèse en est simple : l’art dit « contemporain » repose sur une mystification à l’usage des naïfs. En d’autres termes, sur une escroquerie pure et simple.  « Arnaquer le gogo à l’aide d’un discours et provoquer le suivisme des masses sous peine de passer pour un ringard est le mode d’emploi de la réussite. » Asservi à la domination de la Marchandise, inféodé au mondialisme, il ne disparaîtra qu’avec celui-ci.

 

 Ici encore, une démonstration imparable, servie par une érudition qui emprunte à la peinture, mais aussi à l’architecture, une des passions de l’auteur. Lequel remet à leur juste place le Dadaïsme, le Cubisme, réévalue la place de Picabia, se livre à des considérations spirituelles (ou spiritualistes) qui confèrent à son essai sa véritable dimension : «  Les formes du goût viennent du rêve, et le rêve, c’est une fenêtre sur  le divin. (…) La disparition progressive de Dieu que certains voient inéluctable et souhaitent définitive, est déjà visible dans le cœur des hommes matériels. Elle est essentielle à l’édification mondialiste. A la substitution de Dieu par les Droits de l’Homme – comme si le Christ s’était prononcé contre les droits des hommes ! – s’ajoute consubstantiellement la substitution de la Beauté par la laideur. Sans la laideur universelle, pas de règne de la Marchandise. » Beau sujet de méditation !

 

Jacques Aboucaya

 

1 – Alain Paucard, La France de Jean Gabin, préface de François Taillandier,  Xenia, octobre 2016, 70 p., 12 €.

2 – Alain Paucard, Manuel de résistance à l’art contemporain, Jean-Cyrille Godefroy, septembre 2016, 102 p., 12 €.

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