Alain Dantinne : L’aphorisme pour survivre en milieu tempéré

Ce n’est pas le poids qui fait la bonne littérature. Si vous lâchez le dernier recueil d’aphorismes d’Alain Dantinne, il ne vous fera pas mal aux pieds. Si vous n’aimez pas les saillies, les apophtegmes, les axiomes, les proverbes, les adages et autres dictons un poil sentencieux et subversifs, passez votre chemin, ce Petit manuel de survie n’est pas pour vous. En revanche, si vous en pincez pour « l’umour » d’Erik Satie, de Jules Renard, de Mark Twain, Oscar Wilde et autres « précieux dégoûtés » d’autrefois ; si vous appréciez Eric Chevillard, Olivier Hervy, Pierre Jourde, Jérôme Coignard, Frédéric Schiffter […], tous ceux qui résument la pensée à quelques mots choisis, vous serez chez vous dans ce Petit manuel de survie.

 

Alain Dantinne est belge. C’est une bonne carte de visite. Il a tété à la mamelle de Marcel Mariën (1920-1993), bu les Décoctions d’Achille Chavée (1906-1969), déchiffré les Inscriptions de Louis Scutenaire (1905-1987), grand manitous surréalistes d’outre-Quiévrain. Il en a retenu qu’il faut aller à l’essentiel dans la vie et dans l’écriture, qu’il faut dégraisser la phrase pour mettre à nu le message. Et puis surtout, il faut rire de tout et ne pas se prendre au sérieux. Dantinne n’en est pas à son premier essai, il avait commis un Petit catéchisme à l’usage des désenchantés (Finitude, 2009). Il remet ça, pour compléter la série des petites phrases, détournées  de l’inconscient ou mûrement pesées.

 

Comme tout manuel qui se respecte, celui-ci procède avec méthode et superpose ses tiroirs : il est question de Dieu, de l’âme – Notre bonheur doit beaucoup au malheur des autres. –, du Monde avec des regrets : Hier, je bouffais de la vache enragée, aujourd’hui, je suis végétarien. Ou encore de l’esthétique : Je donnerais un opéra de Verdi pour dix verres d’apéro. Aucun domaine n’échappe à la sagacité tempérée de cynisme de l’auteur, qui propose ses services érotiques : Ejaculateur précoce cherche cocotte-minute, ou formule ses conseils avec un sens inné du jeu de mots : Vis ta vie. Vit à vit. Névrosé amateur, Dantinne constate ceci : Je passe le plus clair de mon temps à l’assombrir, ou se désespère à Vivre entre quatre murs pour finir entre quatre planches : quel programme !

 

N’est pas poète qui veut. Notre homme l’est aussi à ses heures perdues, et, ne lui déplaise, même s’il écrit que L’aphorisme est un petit caillou dans la chaussure de la poésie, l’écriture des aphorismes relève souvent de cette dernière et vice versa.

Pour notre édification, ce manuel est malicieusement illustré par Daniel Casanave, ce qui ne gâte rien.

 

Encore quelques formules avant de partir :

Je passe un tiers de mon temps à dormir, un autre tiers à travailler. Après quoi, je bois un quart de rouge.

Il n’y a pas d’heure pour aller se coucher avec les poules.

Il se sent sûr, il censure. 

Le tabac. Nuit.

 

Frédéric Chef

 

Alain Dantinne, Petit manuel de survie en zone tempérée, dessins de Daniel Casanave, Voix d’encre, coll. « Humour toujours », octobre 2016, 74 pages, 17 €

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