Jean-Paul Gougeon. Extrait de : Le Grand Siècle déshabillé

EXTRAIT>

Les Paroles grasses de Caresme-Prenant (vers 1620)

AUX BONS COMPAGNONS

Ce n’est pas à des oreilles scrupuleuses que s’adressent les paroles grasses de Caresme-Prenant (1). C’est à vous, compagnons de braguette, que je présente le mot pour rire ; vous y verrez des conceptions, telles que le plus excellent vin muscat de Frontignan peut fournir à un esprit enclin à la débauche. Les mots y sont gras, à la vérité, mais selon la saison, et si quelque dame trop renfrognée se rencontrait à la lecture de mes vers, blâmant peut-être mon amoureuse naïveté, qu’elle sache que je ne sais pas mieux dire ce que celles de son sexe savent si bien faire !

Lecteur, foutre de toi, si tu ne me lis tout !

Je suis fait en foutant ; si je fous, c’est la mode :

L’on ne fait point d’état d’un homme qui ne fout ;

C’est pourquoi j’ai foutu le Digeste et le Code.

J’ai foutu mon bonnet, et mon cours et mes lois,

 J’ai foutu mes docteurs, j’ai foutu ma coutume,

J’ai foutu mes arrêts, et si je n’écrivais,

Je dirais, à présent, que j’ai foutu ma plume.

Foutre de tant d’esprits qui suivent le barreau !

Ils n’y sauraient gagner en un jour deux foutées :

Tout homme qui fout bien a la fève au gâteau,

Car les fouteurs sont rois par toutes les contrées.

Que nous sert notre esprit, si nous ne foutons rien ?

Car tant plus nous foutons, plus gaies sont nos âmes.

Un homme qui ne fout n’est pas homme de bien,

C’est avoir de l’esprit que de foutre les dames.

Mon foutu vit m’apprend à foutre tous les jours,

Et mes foutus couillons m’ont acquis de la gloire :

Je pourrais aisément vous foutre des discours,

Mais j’aime mieux un con que non pas une histoire.

J’aime mieux foutre un coup que d’en faire le récit ;

Si quelqu’un m’avait vu quand je fous ma maîtresse,

Il voudrait sur-le-champ avoir changé de vit,

Pour foutre comme moi une si blanche fesse.

C’est un plaisir de foutre et non pas d’en parler.

Si tu sais que je fous, ne le dis à personne ;

Moi qui fous tous les jours, je sais dissimuler,

Madame me l’encharge alors que je l’enconne.

Fous donc à mon exemple, et ne fais pas le sot,

Car la belle qui fout ne veut être connue,

Et un fouteur aussi ne dira jamais mot

Quand il aurait foutu au milieu de la rue.

Mais je vois qu’un fouteur de ceux qui me liront

Me foutra de cent pas, disant qu’ès-compagnies,

Je dis foutre de ceux qui disent ce qu’ils font,

Et ne parlent pourtant que de mes fouteries.

À toi, foutu esprit, je fais ces foutus vers,

Pour t’apprendre à parler et foutre tout ensemble ;

Il faut foutre à l’endroit et parler à l’envers,

Et foutre celle-là que quelque autre ressemble.

Foutant de la façon, tu peux dire partout :

« J’ai foutu aujourd’hui une gente drôlesse »,

Et quand tu parleras de quelqu’une qui fout,

On n’ira pas songer que tu fous ta maîtresse.

C’est ainsi que l’on fout, et que beaucoup de gens

Foutent à cul levé les garces plus infâmes,

Lesquelles se font foutre à force de présents,

Et c’est de la façon qu’il faut foutre les dames.

Paris, que ferais-tu si l’on ne foutait pas ?

Paris, que ferais-tu sans tant de fouterie ?

Chacun fout à l’envi, personne n’en est las,

Foutre de tous ceux-là qui n’y font point d’amie !

Les filles de dix ans y foutent bien à point,

Et disent qu’en foutant elles sont plus gentilles :

Elles meurent d’amour si on ne les fout point ;

Tout leur contentement est de foutre étant filles.

Les femmes ont l’esprit à foutre si enclin,

Et le cul si dispos au mouvement des couilles,

Qu’elles foutent parfois du soir jusqu’au matin,

Sans défaire le lit ou branler les quenouilles.

Les vieilles qui n’ont plus de foutre dans le con

Ont toujours néanmoins quelque envie de foutre.

Celui leur fout l’esprit et pipe leur raison

Qui leur parle de foutre et ne passe plus outre.

Foutez, vieilles, foutez, et vous, jeunes tendrons,

Car si vous ne foutez, vous serez des ingrates :

Les vits ne sont point faits que pour foutre les cons,

Les matous ne sont faits que pour foutre les chattes.

On fout tout maintenant, on chevauche partout ;

Tout le monde est foutu, et le monde où nous sommes

Est un siècle de foutre où un chacun s’en fout,

Car de foutre souvent c’est le propre des hommes.

Vive donc ce bon temps auquel on fout si bien,

Où l’on fout sans soupçon, où les femmes gaillardes

Foutent pour leur plaisir et ne demandent rien

Que des fouteurs à gage et des humeurs paillardes !

Loin, ces foutimasseurs qui gâtent le métier,

Qui abusent des cons et ne passent pas outre !

Un homme qui ne fout ne fut jamais entier,

Il faut être châtré pour se tenir de foutre.

Loin, ces sots amoureux qui ne foutent jamais

Ou qui ne foutent point que quatre fois l’année !

Je fous tant que je puis, c’est tout ce que je fais ;

Mon vit n’est pas content d’une seule foutée.

Allez, foutez, amants, qui, poltrons, n’osez pas

Dire ce mot de foutre et de chevaucherie !

Foutez tant désormais que vous en soyez las,

Car l’amour en effet n’est rien que fouterie !

Apprenez désormais à foutre comme moi,

Ne foutimassez plus les oreilles des dames,

Foutez-les par le con, et jurez votre foi

Que vous les chevauchez pour éteindre leurs flammes.

Vos vits brûlent d’amour et leurs cons de chaleur,

Le seul foutre guérit cette soif amoureuse,

Tout homme qui fout bien peut passer son ardeur,

Quand il a rencontré quelque bonne fouteuse.

Voilà comme je fous les femmes que je vois,

Je crois qu’il n’en est point qui, fouteuses, n’écoutent

Le style foutatif d’un langage françois,

Et enfin je conclus que toutes femmes foutent.

(1) Synonyme de carnaval, ce terme a fini par désigner une personne déguisée et extravagante.

© Robert Laffont, Coll. « Bouquins », 2017

© Photo : DR

 

Quatrième de couverture > Loin d’être solennel et froid, le Grand Siècle se révèle, dans sa totalité, ardemment érotique. Moins connu que le libertinage du siècle suivant, l’érotisme du XVIIe siècle prend des formes multiples, et surprenantes. Au lyrisme éperdu et provocateur des poètes satyriques (règnes d’Henri IV et de Louis XIII), succède l’inspiration galante des poètes mondains et des salons. La veine populaire, s’exprime aussi, explosive et hilarante dans les facéties, les « chansons folâtres », les « contes à rire », puis, sous la Fronde, les violentes mazarinades, tandis que les « chansons de cour » brocardent sans pitié les amours des courtisans. Surgissent les premiers grands textes érotiques de notre littérature : les Confessions de Bouchard, L’École des filles, Le Bordel des Muses de Le Petit. Les nombreux textes écrits par des ecclésiastiques, comme le livre du jésuite Sanchez sur le mariage qui fit scandale, montrent que l’Église elle-même n’échappe point à ces hantises. Même si la frénésie amoureuse de l’époque se trouve souvent battue en brèche par les prédicateurs et une littérature édifiante, les multiples amours de Louis XIV montrent que ce souverain, loin d’être une exception, exprime parfaitement les goûts de son siècle pour l’amour et la sensualité.

Cette anthologie propose des textes peu connus, sinon ignorés, du grand public. On y trouvera aussi bien des poésies que des chansons, des facéties, des pamphlets, des lettres, des contes, des mémoires, des textes scientifiques, médicaux et juridiques, de la littérature religieuse et des rapports de police.

Cette édition a été établie par Jean-Paul Goujon, auteur d’une Anthologie de la poésie érotique française (Fayard, 2004), et à qui l’on doit par ailleurs l’édition dans « Bouquins » de L’Œuvre érotique de Pierre Louÿs. Il est l’auteur de diverses biographies dont celles de Léon-Paul Fargue (Gallimard, 1997, Grand Prix de Biographie de l’Académie française) et de Pierre Louÿs (Fayard, 2002, Prix Goncourt de Biographie).

Pages choisies par Annick Geille

Jean-Paul Gougeon, Le Grand Siècle déshabillé, Anthologie érotique du XVIIe siècle, Robert Laffont, Coll Bouquins, mai 2017, 1150 pages, 30 €

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