« Touchez pas au frichti » : Une tambouille savoureuse.

– Magret ? Jules Magret ? Non, je le retapisse pas.

– Mais si !

– Mais non !

– Justement, Simenon ! Le blaze de son héros commissaire… Jules Maigret … Et le magret de canard… Tu piges la finesse ?

– Ah ah, très drôle, je me tirebouchonne ! Mais pourquoi tu me parles de ce mecton ? Il défraie la chronique ?

– Il la défraie pas, il la tient. Chaque mois. La rubrique gastronomique. Dans un canard (encore) qui s’appelle « Service Littéraire ». Après avoir, des piges durant, tartiné ailleurs des articles manifestant son goût pour la tortore de qualité. Les picrates les plus gouleyants. Les chefs étoilés les plus cadors. Ce qui s’appelle un vrai spécialiste de la bectance. Compétent que tu n’imagines pas. Et fiable. Crois-moi, y en a pas lerche, à l’heure des fast foods et des poulets en batterie.

– Que viennent faire ici les flics ?

– Je cause de vraies volailles, en chair et en plumes. Et d’un élevage qui n’a rien de la batterie de cuistance. T’es duraille à la détente !

– Mais pourquoi tu m’en causes, de ton Brillat-Savarin ? Tu sais bien que je suis raide comme un passe-lacet. Fauché. Lessivé. Pas un flèche en poche. Le morlingue en berne. Pas le moindre fifrelin. Alors tu sais, les chefs étoilés, les grandes tables, les gueuletons à se faire bicher les mandibules, à se remplir la panse à ras bord, très peu pour moi.

– S’agit pas de jaffer ni de se faire jouir les badigoinces, eh, truffe ! S’agit de ligoter un bouquin marrant que le Jules vient de publier. Le gonze, qui a la langue verte bien pendue, y passe au banc d’essai quelque deux cent vingt rades disséminés à travers la France. Y compris des restos et des troquets dénichés dans les cambrouses les plus reculées. Les coinstots les plus inattendus. Pas seulement destiné aux Parigots, donc. Ca change un peu de tous ceux qui scribouillent à l’usage exclusif des bobos du Marais !

– Comment il s’appelle, ton chef-d’œuvre ?

Touchez pas au frichti. Tu piges ?

– Pas vraiment. Y a encore un truc à piger ?

– Tu as décidément la cervelle en capilotade. Les neurones qui se font des nœuds. La comprenette embrumée. L’Alzheimer qui se pointe (mais ne se rend pas). L’intellect en mou de veau. La gamberge à la dérive. Bref, t’es vraiment amorti.

– Merci,  tu es un pote !

– Mais enfin, Touchez pas au frichti, Touchez pas au grisbi

– Ah, j’y suis. Une toile avec Gabin que je me suis tapée y a des lustres, au cinoche de la rue Alphonse Boudard. Avec une gisquette bien gironde. Que je ne me suis pas tapée, elle. Mais c’est une autre histoire, et je ne tiens pas à te bassiner avec mes regrets.

– Gabin, oui, si tu veux. Mais d’abord, un polar de Simonin.

– Encore ? Simenon, Simonin, on tourne en rond, non ?

– Alors, ouvre tes esgourdes au lieu de te titiller la nostalgie : François Cérésa, ça te dit quelque chose ?

– A moi, non. Mais à ma voisine, oui. Elle le trouve beau gosse. Et elle a dévoré, qu’elle m’a dit, tous ses livres. Pourquoi ?

– Parce que Cérésa, qui signe la préface, fait référence à Simenon. Dès la première ligne. C’est le directeur-fondateur de « Service Littéraire » dont je te causais. Il connaît bien Jules Magret. Comme un frangin. Mieux, un alter ego, comme on jaspine quand on est cuistre. Mate un peu comment il le campe : « Le voilà aujourd’hui tout entier confit dans sa grâce, avec ses chroniques, ses bons mots, ses références, dans cet ouvrage cuit à point, traité par ordre alphabétique des départements. » Tout est dit.

– En somme, un annuaire ? Un guide, comme le Gault et Millau ?

– Si tu veux, mais destiné aussi à faire se bidonner le lecteur. A lui faire connaître les bonnes tables et les moins bonnes. Celles qui t’épanouissent les papilles et celles qui te mettent la rate au court-bouillon. En même temps, à lui faire déguster une prose succulente. Joliment servie. Propre à le faire rigoler comme une baleine.

– Par les temps qui courent, ça tombe à pic !

– Je vais te dire : ce bouquin, il a sa place partout. Chez toi ou en vadrouille. Tu le mets sur ta table de nuit pour le ligoter au paddock, avant de pioncer, et tu feras  de beaux rêves. Ou dans la boîte à gants de ta chignole. Comme ça, tu l’as toujours à portée de paluche, et selon les régions que tu traverses…

– Super génial, comme dit mon petit-neveu de six ans ! Tu m’as convaincu. Un livre grâce auquel on se gondole mieux qu’à Venise, une préface de François Cérésa soi-même, que demande le peuple ?… Je vais de ce pas en causer deux mots à ma voisine. Je suis sûr qu’elle va adorer !

Jacques Aboucaya

Jules Magret, Touchez pas au frichti, préface de François Cérésa, L’Archipel, mai 2017, 166 p., 15 €

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