Marella Nappi, Alain Paucard : Parlez-moi d’amour…

Si « amour » rime avec « toujours », c’est surtout dans les chansons. Il en va rarement de même dans la vraie vie. La passion est plutôt, par essence, éphémère. Outre que cela pourrait bien, en définitive, constituer l’un de ses charmes, voire la condition de son intensité, quelle source inépuisable d’inspiration pour les écrivains ! Romantiques ou érotiques, crus ou allusifs, réalistes ou éthérés, combien de poèmes, combien de proses, au fil des siècles, ont été inspirés par l’amour et son cortège de félicités ou de désespoirs ! S’il est un thème intemporel, c’est bien celui-ci.

Pas de doute, la littérature actuelle s’en repait aussi, ad nauseam. Ce ne sont que livres écrits à la diable. Concessions à la mode. Mièvrerie ou pornographie plus ou moins déguisée, prenant prétexte d’une prétendue libération des mœurs. Pavés indigestes voire, pis encore, séries romanesques interminables. Inutile de citer des noms et des titres. Ils fleurissent aux vitrines des librairies – ou, plutôt, puisque celles-ci sont en voie de disparition, dans les rayons « Livres » des grandes surfaces, dernier refuge de cette marchandise parmi d’autres qui se nomme, paraît-il, « culture ».

Quel contraste avec la collection « Tibi », aux Belles Lettres ! De petits volumes denses, insolites, insolents. Inspirés par la vie quotidienne, certes, mais avec le souci de la considérer de manière originale. D’en extraire le suc. De brefs billets d’humeur dans le style des Anciens, maîtres incontestés du genre. Des condensés d’humour qui sont autant de nasardes à la bêtise « au front de taureau », comme écrivait Baudelaire.

Ainsi Marella Nappi mobilise-t-elle Ovide qui, dans ses Heroïdes, se fait le porte-parole d’héroïnes délaissées ou trahies. Elle actualise le thème dans douze lettres de femmes. Inventées, les unes et les autres. Une même situation banale, la séparation d’un couple. Rien de plus effroyable qu’une lettre de rupture. Elle témoigne de l’effondrement d’un monde. Elle ouvre sur la vacuité. Lettre et le néant, en quelque sorte. Dans le même temps, elle témoigne, à travers ses réactions, de la personnalité de l’épistolière. Celles-ci, épitres et épistolières, sont, en l’occurrence, fort différentes entre elles. Furibondes ou promptes à l’autocritique. Anéanties ou combatives. Agressives ou suppliantes. Toutes analysent, avec plus ou moins de lucidité, une situation qui les dépasse. L’amour y apparaît dans toute sa complexité.

Or il appert que la rencontre avec l’autre est souvent porteuse de maintes ambiguïtés : comment et pourquoi en vient-on à s’aimer, souvent à fusionner, puis à s’éloigner, voire à se haïr ? La séparation sert de révélateur. Cet opuscule de fiction, tour à tour drôle et émouvant, en apporte la preuve. Il éveille des souvenirs, suscite la réflexion. Voilà qui vaut les traités de psychologie les plus doctes. Et renvoie à leur inanité tous les conseillers conjugaux qu’il pourrait bien réduire au chômage. Inutile, donc, de souligner son éminente utilité.

Sur la rupture, Alain Paucard en connaît, pour sa part, un rayon. N’est-il pas l‘auteur, en collaboration avec Louise Leblanc, d’un manuel dont le titre est parlant : Rupture, mode d’emploi, soixante-dix-sept lettres de rupture (éd. Lanore) ? Autant dire que l’amour et ses entours, ses tenants et aboutissants n’ont aucun secret pour un écrivain à qui l’on doit, outre le Guide Paucard des filles de Paris (Pauvert/Garnier) et les Carnets d’un obsédé (L’Âge d’Homme), le Petit manuel du séducteur en campagne (Balland), sans oublier, entre autres, un très explicite Eloge du cul (La Musardine). Autant dire qu’il s’agit d’un spécialiste incontestable.

Il se penche aujourd’hui sur une situation dont nul ne saurait affirmer qu’il y échappe, y a échappé ou y échappera, celle du cocu. Comme il cultive volontiers le non-conformisme, loin de s’en gausser, comme Molière ou les vaudevillistes du Boulevard, ou de le plaindre, il fait son panégyrique. Son Eloge du cocu le prend pour objet d’étude. Un de ces éloges paradoxaux dont le parangon indépassable demeure l’Eloge de la folie d’Erasme. Il donne ici lieu à des réjouissantes variations autour d’un état universel, au moins virtuellement, mais qui se prête à l’analyse.

Car c’est un état à multiples facettes. « Des cocus partout ! », assure l’auteur. Certes. Mais c’est pour ajouter ensuite « N’est pas cocu qui veut ». On mesure par là que l’affaire est plus complexe qu’il n’y paraît. En témoigne le chapitre intitulé « Du serpent à tonton Georges » où, du jardin d’Eden aux chansons de Brassens en passant par l’Evangile de Jean, le Décalogue, Dalila, Jézabel et Judith, il démontre que la femme adultère a traversé les siècles et qu’elle remonte, comme l’eût dit Vialatte, à la plus haute antiquité.

Sans doute ces amazones ont-elles chacune sa spécificité. Mais les cocus ne sont pas moins divers. Leur typologie (le jaloux, le fataliste, le mystique, le prédestiné ou le lamentable, entre autres catégories), débouche sur une question rarement débattue et pourtant fondamentale : « L’échangisme est-il un humanisme ? » Conclusion de l’auteur : « L’échangisme se présente, à bien y réfléchir, non comme une instrumentalisation du cocuage, mais comme sa prévention. » Acceptons-en l’augure… Et saluons la hardiesse d’une pensée que viennent étayer, au fil des pages, des références aux écrivains, aux poètes, aux auteurs de chansons et aux dramaturges. Un florilège en réunit du reste plusieurs, sorte de bouquet final à un ouvrage pétillant d’humour, qui tient du feu d’artifice. Mais à cela, Alain Paucard nous avait habitués.

Jacques Aboucaya

Marella Nappi, Tourner la page. Quand tu liras cette lettre… Les Belles Lettres, coll. Tibi, juin 2017, 116 p., 11 €

Alain Paucard, Éloge du cocu, Xenia, juillet 2017, 100 p., 10 €

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