Tout cela avait bien un sens…, de Georges Paczynski : Quand l’autobiographie rencontre la philosophie

L’autobiographie est assurément un genre à part entière. On n’aura garde de la confondre avec l’autofiction, où s’invite toujours une part de romanesque. Où l’imagination, la recherche du pittoresque, du suspense, le souci de relever une sauce par trop insipide font partie de la règle du jeu. En revanche, tous les traquenards de la biographie s’y trouvent multipliés dès lors qu’il s’agit de soi-même. La véracité du récit, la recherche de l’objectivité dans l’interprétation des faits, leur vérification, autant que faire se peut, leur mise en perspective, le parti-pris de neutralité, autant de contraintes que doit s’imposer celui qui choisit de retracer la vie de quelqu’un. À plus forte raison lorsqu’il est lui-même le sujet de son ouvrage. Il navigue alors entre deux écueils aussi redoutables que l’autoglorification et, à l’inverse, la victimisation – l’une et l’autre, du reste, souvent masquées sous les meilleures intentions du monde. Voire confondues, mêlées de façon si inextricable qu’il est impossible d’en discerner les véritables motivations.

Difficile d’y échapper. Ainsi, lorsque Jean-Jacques Rousseau ouvre ses Confessions sur la célèbre assertion « Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple et dont l’exécution n’aura point d’imitateur », faut-il en retenir la résolution, louable, de s’en tenir à la seule vérité, au souci proclamé de ne rien celer, ou souligner, à l’inverse, la présomption, voire la fatuité de celui qui affirme d’entrée son originalité et, partant, sa supériorité sur tous ceux qui ont, avant lui, choisi de se raconter ? À chaque lecteur d’en décider. 

À l’évidence, les choses ne sont pas simples et il faut d’emblée reconnaître à Georges Paczynski le mérite d’avoir su éviter à la fois Charybde et Sylla. Né en 1943 à Grenoble, ce fils d’émigrés polonais a abordé avec un égal succès des domaines d’activités fort différents. Passionné de jazz dès sa prime enfance, il s’est illustré comme batteur professionnel dans de nombreux contextes, notamment à la tête de son propre trio. Les amateurs le connaissent en outre pour sa monumentale Histoire de la batterie de jazz, trois volumes qui font autorité. À quoi il faudrait ajouter, toujours dans le domaine de la musique, des ouvrages techniques, des compositions, des activités de professeur en Conservatoire et d’homme de radio, en particulier dans l’émissionBlack and Blueanimée des années durant, sur France Culture, par Alain Gerber et Lucien Malson.

La richesse de son autobiographie tient aussi à la capacité de s’élever au-dessus des événements et des situations pour les placer dans un contexte plus vaste, leur trouver un sens (le titre est, à cet égard, des plus explicites). Cela suppose une faculté d’analyse et de synthèse laissant peu de place à l’affect. Pour tout dire, une vaste culture dont l’auteur est loin d’être dépourvu. Qu’on en juge : Docteur es Lettres et Sciences Humaines avec une thèse sur les racines du rythme musical dans les civilisations anciennes, laquelle succédait à un diplôme de Troisième Cycle consacré à Baudelaire et la Musique, nul mieux que lui n’était mieux qualifié pour mener à bien une entreprise de semblable envergure ?

Son livre passionne le lecteur en premier lieu parce que la saga familiale qui y est narrée le tient en haleine de bout en bout. Cette histoire d’un exil tient de l’épopée dramatique. Elle attache et bouleverse. Met en scène des personnages composant une étonnante galerie de portraits. Deux thèmes en émergent et se confondent, l’amour de la Pologne et celui de la liberté. Mais cette plongée dans la mémoire présente un intérêt supplémentaire dans la mesure où elle débouche sur des questions auxquelles Georges Paczynski s’efforce d’apporter des réponses cohérentes. Elles dépassent son propre cas et celui de sa vocation de musicien. S’agissant de ses souvenirs et du choix inconscient qui en est fait, l’auteur s’interroge dès le prologue : « Pourquoi, à un moment donné, celui-ci remonte-t-il à la surface plutôt que celui-là ?Pourquoi tel événement en particulier revêt-il, des années plus tard, une importance que nous ne soupçonnions pas lorsqu’il s’est produit ? Comment notre conscience s’est-elle construite, comment s’est-elle affinée au contact des expériences que nous avons traversées ? »

Autant de réflexions qui sous-tendent cette autobiographie et lui confèrent sa richesse. Elles impliquent un constant va-et-vient entre subjectivité et objectivité. La confrontation entre une vision du monde singulière et une conscience humaine universelle. Ainsi la philosophie donne-t-elle une dimension supplémentaire à un récit que vient rehausser une copieuse iconographie. De celle-ci, il tire un réalisme et une authenticité qui contribuent à la réussite de l’ensemble.

Jacques Aboucaya

Georges Paczynski, Tout cela avait bien un sens…, Arts & Spectacles, 2018, 176 p., 15 €

 

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