Quelques jours avec Hitler et Mussolini

Extrait du Journal d'un bourgeois (Dal diario di un borghese) de Ranuccio Bianchi Bandinelli, publié en 1948, le récit des Quelques jours avec Hitler et Mussolini relate la mission improbable qui lui est imposée de guider en 1938 les deux dictateurs dans les hauts lieux de l'Art à Florence. Bianchi Bandinelli est choisi pour ses compétences en histoire de l'art et sa connaissance de l'Allemand (il est parfaitement germaniste) mais cette mission, qu'il ne peut décemment refuser, le rebute : politiquement, humainement, artistiquement. Pourtant, il s'en acquitte si bien qu'il sera invité — et toujours il refusera — souvent à renouveler cette expérience et à faire des conférences sur ce moment improbable où deux dictateurs, à la veille de mettre l'Europe à feu et à sang, prennent une pause artistique.

C'est cette pause, qui devient avant tout une pose, car chacun à sa manière va s'ingénier à faire de cette visite de quelques jours une parade. Mussolini, traverse les couloirs au pas de charge, comme un rustre, et ne vise qu'à être vu regardant parfois avec attention une œuvre, quelle qu'elle soit. Hitler, quant à lui, moins matamore, a une connaissance réelle de l'art, même si ses critères ne sont pas forcément les plus répandus chez les spécialistes, alors il prend prétexte de tout soit pour s'extasier soit pour faire de la propagande. 

« Mais, contrairement à Mussolini qui, ne cachant pas son désintérêt, traversait les salles sans regarder ou s'approchait d'une œuvre pour lire l'étiquette, se planter en face, si c'était un mur blanc, ou hocher la tête, Hitler aimait réellement les fausses qualités artistiques qu'il repérait, il en concevait de l'émotion. Comme un garçon coiffeur à l'opéra quand le ténor pour son aigu. »

Mussolini est un pantin creux qui bombe le torse et se gonfle d'orgueil devant des œuvres qu'il ne comprend pas et dont a priori il se fiche. Hitler, ce « peintre du dimanche de Braunau » est moins ridicule mais tout aussi bouffon, car outre qu'il ne semble rien comprendre à l'art, il s'en servirait pour poser sa propre culture et pour théoriser selon sa propre vision du monde. L'art n'est ici qu'un outil, qu'un moyen de faire de la politique, de se mettre en situation de. C'est ce qui effraie, puis désole Bianchi Bandinelli, mais cette vacuité dans le regard artistique des maîtres du monde lui donne aussi la force de s'opposer à eux, de montrer leur ridicule — tout en ayant l'air de ne pas y toucher —, notamment en leur proposant de s'ouvrir à autre chose et notamment aux origines non aryennes de l'art. Vain combat dans un théâtre truqué...

Petit livre très drôle par la qualité d'une langue qui est bellement maîtrisée et marque une certaine distance, mais petit livre grinçant car on y voit les prémisses d'une aventure sombre dont rien ne pouvait être méconnu. Mussolini pérore avec sa flotte qu'il compare à celle de l'Angleterre, et se voit déjà maître des eaux ; Hitler avance les pièces de son projet d'aryannisation du monde... Reste l'art, comme ultime secours, sinon des corps du moins de l'esprit.


Loïc Di Stefano

Ranuccio Bianchi Bandinelli, Quelques jours avec Hitler et Mussolini, Carnets nord, octobre 2011, 92 pages, 8 euros

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