Avec John Dewey découvrons la tradition philosophique américaine dite du pragmatisme

La tradition philosophique américaine dite du pragmatisme, fondée par Charles S. Peirce et William James, avait un fan. Un inconditionnel. Mieux, un pilier : John Dewey (1859-1952). C’est lui qui poussa la notion d’enquête aux limites du possible. 


À ses yeux, il n’y a pas de différence essentielle entre les questions que posent les choix éthiques et moraux et celles qui ont une signification et une portée plus directement cognitives. Il abordera la question morale avec un esprit d’expérimentation. Ainsi, pragmatique, Dewey - et sa théorie de l’enquête - va mettre en lumière la dimension sociale et institutionnelle. Une autre manière de penser la démocratie, en quelque sorte.


Chez Dewey, la pertinence des positions politiques s’avère relative à des pratiques expérimentales. En témoigne Le public et ses problèmes. Publié en 1927, voilà déjà plus de quinze ans que Dewey écrit sur la politique. Des essais (comme le célèbre Démocratie et éducation, 1916), des articles sur le droit et la signification éthique de la démocratie. Des conférences aussi... 

Mais désormais il veut s’attacher à inviter. À repenser les conditions auxquelles les citoyens pourraient parvenir à former des jugements politiques raisonnables, cohérents. Responsables.


Dewey rompt avec l’idée que la compétence politique des citoyens est affaire de nature et de droit naturel. Mais il n’envisage pas de congédier toute compétence hors des zones habituelles de l’exercice de la citoyenneté. Il veut souligner le fait que la compétence du sens commun est aussi une affaire d’égalité dans l’accès aux ressources intellectuelles. Pour lui, c’est avant tout une affaire de méthode, d’école, de formation professionnelle... et d’enquêtes. Il affirme que, sans une reconstruction permanente du public, les instances d’identification des domaines d’intérêt communs cessent leur travail. Et alors la démocratie n’existe plus.


Publié en 1934, Art as Experience fait écho aux premières conceptions philosophiques de Dewey touchant à l’homme et à l’environnement, considérés comme éléments d’une dialectique dynamique. Cet essai fut très bien accueilli car remarquable était la manière dont s’y cristallisait nombre de préoccupations montantes parmi les artistes qui cherchaient des orientations au plein cœur de la Dépression. En effet, certains d’entre eux éprouvaient le besoin d’ancrer leur travail vers une plus grande conscience sociale. Cela renforça l’attention grandissante des peintres et sculpteurs à décrire des aspects de la réalité américaine.


Mais surtout, ce livre a su convaincre les administrateurs du Federal Art Project que les artistes américains avaient un rôle à jouer dans le monde. Une idée propre à Dewey.


Le cœur de l’esthétique de Dewey tient dans l’affirmation de la spécificité de l’expérience esthétique. En tant qu’elle s’oppose à l’expérience ordinaire. Selon sa définition, l’expérience est conçue comme la rencontre totale avec un phénomène extérieur. Lequel suit alors un cours complet de son commencement à sa fin. Et l’intègre complètement dans la conscience comme une entité distincte des autres expériences.


En clair, pour Dewey, Pollock est engagé dans une expérience quand il peint intensément. Il est aussi, toujours selon Dewey, "
si fortement engagé que l’objet et le plaisir ne font qu’un dans l’expérience". 


Ce qui, paradoxalement, le met en opposition avec la conception de la création artistique propre au peintre. En effet, Pollock disait souvent qu’il n’était pas conscient de ce qu’il était en train de faire. 


Cependant, cet engagement émotionnel complet que Pollock revendique aurait fourni à Dewey la meilleure illustration d’un artiste totalement immergé dans le vécu de l’expérience dans l’exercice de l’acte de peindre. Mais Pollock éprouvait une expérience totale dans ce moment de mise en contact avec la peinture. Et c’est ce qui déterminait, pour lui, le fait qu’il s’agissait bien d’art.


Dewey l’a souligné : il y a une dimension cruciale de l’appréciation esthétique qui se situe en deçà de l’interprétation et du langage. En cela, il libéra le pragmatisme de ses chaînes. Avec lui, le débat sur "l’esthétique pragmatiste" est de nature à s’ouvrir sur des positions nouvelles. Et L’Art comme expérience deviendra la clé de voûte de l’esthétique américaine.
Tout comme pour Le Public et ses problèmes, l’apport à un public français de ces deux textes fondamentaux est un heureux événement. Pour ceux qui étudient la philosophie, la politique, l’esthétique ou la civilisation américaine.


Annabelle Hautecontre


John Dewey, Le Public et ses problèmes, traduit de l’anglais et avant-propos de Joëlle Zask, Folio essais n°533, mai 2010, 336 p. - 7,10 €
John Dewey, traduction de l’anglais coordonnée par Jean-Pierre Cometti, avant-propos de Richard Shusterman, postface de Stewart Buettner, Folio essais n°534, 
mai 2010, 608 p. - 9,70 €    

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