"Société et solitude", le testament philosophique de Ralph Waldo Emerson

UN HEUREUX TESTAMENT

Deux ans avant sa mort, l’essayiste, philosophe et poète américain Ralph Waldo Emerson écrit Société et Solitude qui peut être largement considéré comme un vaste testament philosophique puisqu’il y résume toute sa vision du monde. Suivant l’esprit de l’école transcendantaliste dont Emerson faisait partie et divisé en douze parties touchant à des domaines aussi variés que l’éloquence, l’agriculture, la réussite, la vieillesse, le travail, la civilisation… l’ouvrage dépeint de manière enthousiaste le monde et offre quelques conseils pour vivre sa vie de manière noble et heureuse.  

« Si la solitude est fière, la société est vulgaire »

Le dernier écrit d’Emerson surprend d’abord parce que son contenu n’est que très lointainement en rapport direct avec son titre. Si la solitude occupe effectivement la première partie et un passage en fin d’ouvrage (le chapitre dédié aux « Clubs »), le reste de Société et Solitude s’attache surtout à dépeindre le monde sous tous ses aspects. 
Ainsi Emerson mentionne-t-il d’abord un homme qui éprouve de grandes difficultés à « se mettre au diapason d’autrui », du fait d’une trop grande sensibilité. Pour lui, des Newton, des Archimède, sont « indispensables à la culture du monde », mais ils ont été dotés par la Nature d’une certaine aridité qui leur permet de développer leurs essentiels travaux. Prenant l’exemple de l’avocat qui ferait mieux de passer du temps au tribunal que dans les bibliothèques, il souligne l’importance de l’étude du monde. La solitude est donc nécessaire mais ne peut être l’unique facteur de création : les autres sont indispensables, même s’ils sont sources de conflits extérieurs comme intérieurs. « Assortissez vos hôtes, ou bien n’invitez personne ». Cependant, Emerson ne porte pas son regard sur la solitude et la société que d’un pur point de vue pratique ou productif. Son analyse porte aussi sur des aspects que l’on pourrait qualifier de « psychologiques », insistant sur le fait que l’amitié « est le moteur de nos jours de solitude ». En somme, la solitude et la société sont les deux composantes d’une heureuse dialectique.

Un catalogue des nobles cultures du monde

Enthousiaste, frisant l’utopie, le philosophe pèse le pour et le contre de toute situation et en déduit de manière générale que le monde est bien fait. Mais sa vision du monde est un curieux mélange d’ouverture d’esprit et d’austérité. S’il ne fait preuve d’aucun préjugé racial ou culturel, soulignant notamment la difficulté que nous éprouvons à définir ce qu’est la civilisation sans avoir recours à la négation, il insiste sur le fait qu’il n’y a pas de civilisation sans moralité. Car pour Emerson, l’important, l’essentiel est de tendre de manière systématique vers ce qui est noble et moral. Influencé par Kant et les idéalistes allemands, il passe en revue avec ce mélange de rigueur intellectuelle et d’énergie joyeuse toutes sortes de travail, les pratiques agricoles, l’importance de la Nature qui interfère avec nos Arts mais qui est toujours bienfaitrice, le courage et la vieillesse… mais aussi les livres, pour laquelle il donne même au lecteur ses « règles de lecture ». Son ouvrage atteint alors le paroxysme de son aspect « catalogue » : Shakespeare, Pindare, Plutarque, Hésiode, Michel-Ange, Hafez, Montaigne, Homer, Hume, Ménandre, Raphael, Beaumarchais, Aristide le Jeune, Plotin, Byron…  le nombre de références et d’hommages aux grands penseurs et artistes du monde dépasse quelque peu l’entendement et on peut vivement remercier Thierry Gillyboeuf pour son travail d’annotations. Mais l’ouvrage étant le testament intellectuel d’un grand philosophe, il faut toujours avoir en tête que ce dernier ne cherche qu’à nous transmettre ce qu’il estime le plus et cela constitue une excellente source d’inspiration pour de futures lectures. 

Société et Solitude enchante grâce à sa calme et enthousiaste sagesse mais peut aussi lasser par ces références incessantes qui viennent quelque fois non pas enrichir la pensée d’Emerson mais en briser le rythme. 


Matthieu Buge


Ralph Waldo Emerson, Société et solitude, traduit de l'anglais (USA) et présenté par Thierry Gillyboeuf, Rivages poche, « petite bibliothèque », octobre 2010, 307 pages, 9,50 € 


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