Don Wolfe réouvre le "Dossier Dahlia noir" : la pègre, le nabab et le meurtre qui a choqué l'Amérique

Fleur de sang

Sans doute parce qu'il est l'un des premiers crimes aussi violents à avoir fait la une des média (une femme découpée en deux, tailladée, et laissée à la vue de tous sur un terrain vague), l'affaire du Dahlia noir (1), surnom donné à Elisabeth Short, est un mythe moderne. Sa présence est réelle, aussi bien comme « nourriture » du plus fantasque des génies américains du polar (James Ellroy, of course) que comme source d'angoisse pour le quidam lambda. Après bien des remous, des enquêtes et des preuves fantasmées de tel ou tel coupable, un nouveau pas est-il enfin fait vers la vérité ? Car plus de cinquante ans après les faits, le mystère plane encore. Planait ?

L'hypothèse

A partir des documents inédits retrouvés dans les archives du District Attorney (procureur général), Don Wolfe parvient à reconstituer assez solidement ce que tout le monde avait en tête sur le mode du fantasme. L'hypothèse de travail est la suivante : Elisabeth Short n'est pas la victilme d'un psychopathe, elle est un signe qu'un mafieux adresse à un autre mafieux, le tout sur fond de scandale à venir et de guerre larvée entre  membres du Syndicat du crime.

Loin d'être un oiseau effarouché, Elisabeth Short est une femme de la nuit, prête à tout pour atteindre Hollywood et ses paillettes. Elle change d'homme et de chambre d'hôtel presque tous les soirs, et sans tomber tout à fait dans la prostitution ou la délinquance, la somme des compromissions qu'elle accepte pour atteindre son rêve est assez importante. Au point qu'elle semble avoir été une des hôtesse de la fameuse Brenda Allen, grande prêtresse du sexe hollywoodien qui envoyait ses belles de nuits satisfaire aux appetits des magnats du cinéma. C'est lors d'une de ces « sorties » qu'Elizabeth Short serait tombée enceinte de Norman Chandler, patron du groupe de presse du Los Angeles Times et, pour ainsi dire, l'homme le plus influent de la ville, qui fait et défait les carrières politiques. Est-ce la raison de sa mort ? en tout cas, son eviscération laisse supposer qu'on voulait ôter une trace particulière...

Le LAPD, bras armé du Syndicat, et la Presse

La police de Los Angeles, le fameux LAPD (lire Ellroy, encore, et toujours...), est une des cibles de Wolfe. Et il montre avec beaucoup de conviction que seuls les flics probes pouvaient se retrouver en uniforme à régler la circulation ! les connivences sont telles qu'il faut se demander à quel titre le Syndicat ne dirige pas tout, le réseau de prostitution de Branda Allen, le plus fameux par la beauté de ses filles, est co-dirigé de l'intérieur par un haut gradé. De quoi calmer les véléités des plus zélés serviteurs de la Loi.

Surtout, informé des vérités du dossier, et désireux de couvir un puissant caïd, le LAPD a volontairement orienté l'enquête sur de fausses pistes (quitte à faire tuer un innocent) et masqué plusieurs faits et détails.

C'est finalement la presse qui a réussi à obtenir les vraies informations et à gagner une course contre la montre, celle des Unes qui font vendre. Des premiers sur le terrain aux derniers scoops, c'est aussi une presse en cheville avec la police, jouant un double jeu dangereux dont le résultat est, finalement, d'avancer, qui apparaît ici. La presse comme lieu où se cache la vérité. Car ce qui se laisse entendre, dans les témoignages des anciens enquêteurs du LAPD ou des journaux, c'est qu'un certain nombre de faits ont été cachés sciemment (pour déjouer les faux coupables, dit-on) et, surtout, que quelques personnages, haut placées, savaient pertinement qu'il fallait étouffer cette affaire. Et l'on en revient aux cercles étroits du pouvoir qui, à Los Angeles, mêlent inextricablement la presse, la police, la mafia et la politique, en un bain aux remugles nauséeux dans lequel la petite rêveuse qu'était Elisabeth Short a eu tort de vouloir nager...

Le cas Hodell

Lui consacrant pour partie de ses dénégations — gage de la force qu'eut ce texte à sa sortie — Don Wolfe s'occupe du cas Steve Hodell avec précision.

Steve Hodell a défrayé la chronique en publiant L'Affaire du Dahlia noir, où, avec force hypothèses convaincantes, il accusait nommément son père et le LAPD du crime. La moins farfelue de ces réouvertures et accusations dans le dossier Dahlia noir, qui en compte beaucoup , méritait d'être pris au sérieux, ce que ne manque pas Don Wolfe. Pour plusieurs raisons : d'abord parce qu'il est à l'opposé de ses propres théories, ensuite parce qu'il a eu un tel succès qu'il marque les esprits et qu'enfin il faut lever tous les pièges pour atteindre à sa vérité.

L'intérêt de cette nouvelle étape vers l'élucidation probable, mais à quel terme, de l'affaire qui a le plus marquée l'Amérique, est cet effort de contextualisation de toutes les données à sa disposition pour former un tableau aussi complet et plausible que possible des tenants et aboutissants de ce crime. Rien n'échappe à la sagacité de l'auteur, ni  la vie du milieu, ni les affaires où le LAPD est mêlé, ni, et c'est cette reconstitution qui est en tout point remarquable, le parcours d'Elisabeth Short avant de devenir le célèbre Dahlia noir. Une enquête exemplaire, dont on dira, dans quelques temps, et selon les nouvelles archives mis à jour, la part de vérité qu'elle a dévoilé.

Loïc Di Stefano

(1) Tous les détails sur le meurtre et le contexte historique, social, culturel, etc., se trouve sur le site http://www.dahlianoir.fr/ intégralement consacré à cette affaire


Don Wolfe, Le Dossier Dahlia noir, traduit de l'anglais (USA) par Nathalie Cunnington, Albin Michel, septembre 2006, 420 pages, très nombreux documents, 21,50 €

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.