Grégoire Polet fait son "Petit éloge de la gourmandise" en vingt-six variations

Grégoire Polet, jeune écrivain belge de 32 ans, nous propose, dans une libre interprétation, vingt-six variations exactement sur le thème de la gourmandise. Référence est faite ici au lexique musical car c'est sur la plainte de Didon « Remember me ! », opéra de Purcell, que s'ouvre le livre. La gourmandise commence par la faim, par une plainte, par l'appel à recoller les morceaux, la faim cette déchirure à l'estomac, une fracture avec le monde.

Grégoire Polet est aussi baroque que le compositeur anglais. La gourmandise est prétexte chez lui à digression, distraction, improvisation et rêverie. On passe d'un petit traité sur la différence entre la faim, l'appétit et la gourmandise, à des portraits de gourmands, de la peinture du Caravage à des anecdotes personnelles. La peinture, la musique, la littérature ou plutôt les peintres, les musiciens et les écrivains sont souvent convoqués, quitte à ce que lecteur ait parfois l'impression que l'auteur s'éloigne du sujet et qu'il nous emmène on ne sait où. On est perdu, décontenancé. Mais, c'est loin d'être désagréable, et il est bon que la littérature nous sorte des sentiers battus.

Son éloge de la gourmandise n'est pas un essai, il ose quelques affirmations mais on ne pourra pas tirer quelque thèse de ce livre. Car Grégoire Polet est gourmand de mot avant tout. Et, même si l'on est comme happé par son style – on sauterait un repas pour finir son livre –,son lyrisme, son écriture soignée, sa maîtrise époustouflante de la phrase et de la langue nous laissent un peu sur notre faim. Notre plaisir demeure intellectuel – parce qu'il y aurait quelque chose de plus à attendre d'un livre ? N'est-ce pas un comble de reprocher à un livre d'atteindre son but ?

Expliquons-nous. Grégoire Polet a les yeux plus gros que le ventre. C'est un esthète avant d'être un gourmand, ou, s'il est gourmand, c'est de raffinement, c'est du Beau plus que du Bon. S'il fait appel aux Beaux-Arts pour parler de cuisine, c'est parce qu'il revendique sa place parmi ceux-ci. D'où son admiration pour Ferran Adrià, le chef espagnol du restaurant El Bulli, pape de la cuisine moléculaire. « Les gastronomes s'appellent plus ou moins Tiburce et Ferran Adrià est leur Rubens. », s'exclame-t-il. L'auteur s'extasie devant la perfection des formes « des olives sphériques, des moules sphérique ! Parfaites ! ». Mais, parce qu'on est vulgaire, on a envie de lui demander : « Est-ce que c'est bon ? Cette olive est-elle meilleure que sous sa forme originelle ? » Allez ! pourquoi pas des moules carrées ! Mais de là à se pâmer... Où quand l'éloge devient hagiographie, quand le lyrisme devient pompier...

Ce livre saura envoûter le lecteur qui admire les Belles Lettres. L'érudition de l'auteur, sa préciosité sont remarquables. Et même si Grégoire Polet oublie parfois un peu son lecteur, même si son style s'égare de temps en temps dans l'emphase, on ne peut que saluer un tel ouvrage, qui est une célébration de la langue française plus que celle de la gourmandise.


Philippe Menestret

Grégoire Polet, Petit éloge de la gourmandise, Gallimard/folio (inédit), août 2010, 106 pages, 2 € 

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