"Le Monarque, son fils, son fief", de Marie-Célie Guillaume : Hauts-de-Seine, le département des obscènes

Pour nettoyer les écuries d’Augias, Héraclès n’avait pas pensé au lance-flammes. Moyen pourtant redoutable, si l’on en juge par le nombre d’orfraies délogées ces derniers jours par le brûlot de Marie-Célie Guillaume, ex-directrice de cabinet de Patrick Devedjian au conseil général des très prospères Hauts-de-Seine. On les reconnaît tous deux sans mal, le temps d’une sale blague, sous les masques flatteurs de l’indispensable Baronne et du chevaleresque Arménien, lettré bilieux qui livre bataille sans joie et s’abîme dans des « querelles subalternes ».

 

Sous divers alias plus ou moins transparents, tous les protagonistes de la guerre de religions qui ensanglante la droite alto-séquanaise depuis 2007 rejouent, en public, leur resucée des Huguenots. Gageons que Patrick Devedjian, grand amateur de théâtre lyrique, n’a pas détesté le plateau de rêve distribué par sa régisseuse. Toutes les variétés de félons et de parrains y sont représentées, du vieil hypocrite au faux nigaud, sans oublier la brute misogyne et xénophobe. Le Monarque, son fils, son fief mériterait de passer la rampe, c’est le mal qu’on lui souhaite. Mais roman à clés ? Vite dit, puisque chacun semble s’être identifié. Ce qui ne manque d’ailleurs pas de sel, vu les portraits-charges de Préfet Tigellin (Guéant), Thénardier (Balkany), Gominet (Martinon) et, bien sûr, du monarque Rocky et de son fils le Dauphin : Jean Sarkozy, l’apprenti sorcier, lessivant malgré lui les haras à grande eau.

 

La Chronique du règne de Nicolas Ier, saga parodique de Patrick Rambaud, a connu l’adaptation en bande dessinée. À son corps défendant, la voici donc devenue soap trash ou western spaghetti, à ceci près que les dialogues, croquignolets, sont puisés à bonne source. Tout est prêt pour un remake politique de Rocky Horror Picture Show et, comme dit la Thénardier, il y aura « du sang sur les murs ». Les « rockystes » s’y conduisent comme des cosaques. Que ne pardonnent-ils pas, aujourd’hui, à ce livre ? D’y être guignolisés, sans doute. Si la principale cruauté d’une satire est de divertir, celle-ci confine au sadisme.

 

Dans les dernières pages de cette « chronique d’un règlement de comptes », « Baronne » confie qu’il lui aura appris, entre autres, cette botte suprême : la « magnanimité ». Dès lors, pourquoi pareil déballage, puisque le récit s’achève par la victoire morale – et électorale – de l’Arménien sur les séditieux ? Dégoût de la politique ? À lire le méfait lubrique attribué au Monarque en son château, on devine que l’outrage à chef d’État est proportionnel au dépit. Il en faut, des illusions perdues, pour ainsi tirer sur l’ambulance, même blindée, mais aussi de sérieux motifs et une solide cuirasse. À moins, puisque ce manuel de stratégie se place sous l’égide de Sun Tzu, qu’il ne s’agisse d’une phase de jeu encore indéchiffrable…

 

On oublie généralement la fin de la légende d’Augias : son travail achevé, Héraclès réclame sa récompense. Mais au lieu de tenir sa parole, le roi le chasse, s’exposant ainsi à sa vengeance. Il sera déposé par son fils. Est-ce semblable tragédie que ce livre énigmatique, en forme de casus belli, est en train d’amorcer ? « On est loin de l’intérêt général ! » s’exclame l’auteure à deux pages de l’épilogue. En effet. Si ce livre saignant et peut-être salutaire laisse malgré tout un goût amer, c’est qu’un personnage y brille par son absence : il s’appelle Bien Public. Comme le Commandeur, on visite surtout sa sépulture. Mais ce serait un sujet d’opéra…

 

Olivier Philipponnat

 

Marie-Célie Guillaume, Le Monarque, son fils, son fief,  Guerre de pouvoir dans les Hauts de Seine, Éditions du Moment, juin 2012, 240 p., 18,50 €.

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