Richard Millet, l’homme en colère

Deux thèmes principaux inspirent ces trois opuscules, dont les deux premiers constituent des pamphlets souvent véhéments. L’un est l’identification de la culture petit-bourgeoise à la culture universelle, l’autre, l’immigration en Europe.


Le premier avait été traité par Roland Barthes dans Mythologies (1957) ; le philosophe dénonçait le phénomène comme une "mystification". Il n’y avait pour lui aucune raison qu’une classe sociale s’appropriât la culture universelle pour y injecter ses valeurs et ses modes d’interprétation du monde. Nous en parlâmes un soir et je lui fis observer que le phénomène était économique ; puisque ce sont les "petits-bourgeois" qui achètent la culture, il était prévisible que le marché tendrait de plus en plus à lui offrir des produits adaptés. On ne peut pas espérer vendre autant de livres de Robert Musil ou de Maurice Blanchot, par exemple, que de Dan Brown ou de J.K. Rowling.

 

© Louis Monier


Pour Richard Millet, ce phénomène est fatal à la langue, à la littérature et à la nation, voire à la foi chrétienne. C’est répété, asséné à coups de gourdin. "La France, naguère pays littéraire par excellence, est devenue la république bananière de la littérature."

"Nous vivons […] au milieu de l’ordure littéraire." ; "La littérature parle souvent petit nègre." ; "Frappée d’insignifiance générale, la littérature française est devenue invisible sur la scène internationale." ; "La tragédie du français, devenu langue tiers-mondisée…" ; "Le Français est devenu le Papou de la littérature mondiale…" ; "On assiste donc à la mort littéraire de la France, urbi et orbi, ce que produisent les 'francophones' étant décrété par l’Empire américain et ses dépendances européennes plus intéressant que la production française…", ou encore : "Notre insignifiance a fait de nous des pauvres qui frappent à la porte du paradis anglophone…"

 

L’abâtardissement de la langue et des esprits serait causé par l’américanisation des petits-bourgeois et l’anglicisation du langage. Les États unis eux-mêmes, d’ailleurs, assure Millet, ne produisent plus rien : "La littérature n’[y] aura connu qu’un siècle et demi d’authenticité." Laissons à Millet le soin de préciser le sens de ce dernier mot, tellement bateau qu’il fut, à ma connaissance, interdit d’usage par les gens prudents pendant quelque vingt ou trente ans après la guerre.

 

Que vient faire Anders Breivik dans ces imprécations ? Pourquoi faire l’éloge littéraire de ce tordu, équivalent nordique d’un taleb afghan shooté aux amphés ? Sonnez le ban : "La dérive de Breivik s’inscrit dans la grande perte d’innocence et d’espoir caractérisant l’Occident, et qui sont les autres noms de la ruine de la valeur et du sens." Bref, Millet  désapprouve les "actes" 78 morts de Breivik, mais se félicite de ce qu’ils aient été commis. Page 50, c’est pourtant le même auteur qui écrit : "Contrairement à ce qui se murmure à mon sujet, la provocation n’est pas mon fort." Quant à désapprouver Breivik,  il y met lui-même un gros bémol ; car qui donc étaient les victimes ? Des gens appartenant à la variété du "petit-bourgeois métissé, mondialisé, inculte, social-démocrate – soit le genre de personnes que Breivik a tuées…" (p. 109). Donc les 78 morts n’étaient pas une grande perte.

Il ne faudra donc pas trop s’étonner si quelque lecteur acquis aux idées de Millet allait révolvériser certains éditeurs et patrons de chaînes de télé. Il aura droit à un éloge littéraire. 

 

De bruit et de fureur

 

Le second thème commun aux trois plaquettes, l’immigration, déchaîne la fureur exaspérée de l’auteur. Comme le premier, le phénomène est essentiellement économique : l’immigration fut d’abord encouragée par les pays d’Europe occidentale après la guerre, parce que la main-d’œuvre du Tiers-monde était moins chère ; ensuite, le sous-développement des pays de ces régions poussa et pousse toujours les jeunes générations à aller s’y installer, Turcs en Allemagne, anciens habitants de l’empire colonial français en France et de l’Empire colonial britannique en Angleterre.

 

Le résultat porte visiblement sur les nerfs de Millet. Devenu Heimatlos volontaire, il demanderait un passeport Nansen, s’il en existait encore. Le récit intitulé Intérieur avec deux femmes en témoigne (en fait, c’est un intérieur sans femmes). Dans le RER qui le mène à la Gare du Nord, où il doit prendre un train pour Rotterdam, il est contraint de descendre dans "des profondeurs qui forment un véritable égout social, où les gens se dégradent moralement et physiquement" : les Noirs y sont plus sombres, les métis violacés, les Pakistanais et les Tamouls verdâtres, les Asiatiques blafards, et les Blancs tout gris… Abandonné par une femme, Alix, il espère en trouver une autre. Mais ses souffrances prennent un tour aigu : à Rotterdam, il a vu une mosquée. Une mosquée à Rotterdam ! Il en est convulsé. "L’Islam s’impose en Europe grâce à l’insouciance des gens autant que par le recours au Droit ou par l’intimidation." On croit parfois lire des passages inédits de L’École des Cadavres sur la "négrification de la France".

 

On peinerait à expliquer à Millet que les minarets en Europe sont l’un des résultats de six décennies de course à la productivité. Il ne voit qu’un fait : la littérature française se porte mal ; elle a expiré avec Chateaubriand et Joseph de Maistre. À la fin, quand il consent à s’allonger auprès d’une femme, c’est en fait dans "la grande prose française" qu’il le fait. Le matin suivant sa nuit qu’on veut espérer d’amour, d’ailleurs, il récite par cœur un passage des Mémoires de Chateaubriand.

 

La fureur inspire à Millet des jugements péremptoires par rafales. Umberto Eco et Mario Vargas Llosa sont flagellés à outrance. Le Clézio ? "Son style est aussi bête que sa naïve vision manichéenne du monde." "On a les acteurs qu’on peut, dit-il encore, d’où la sanctification d’écrivains aussi médiocres que Françoise Sagan et Romain Gary, pour ne pas parler d’Irène Nemirovsky…" Houellebecq en prend aussi pour son compte.   

 

Firmin, veuillez prévenir le vicomte Millet qu’il n’y aura pas de Restauration.

 

Gerald Messadié 

 

Richard Millet, Langue fantôme, suivi de Éloge littéraire d’Anders Breivik, Pierre Guillaume de Roux, août 2012, 120 p. 16 €

Richard Millet, De l’antiracisme comme terreur littéraire, Pierre Guillaume de Roux, août 2012, 93 p., 14, 90 €

Richard Millet, Intérieur avec deux femmes, Pierre Guillaume de Roux, août 2012, 141 p., 16, 90 €

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5 commentaires

Il est tout de même éloquent de voir que c'est Le Clézio qui rafle le Nobel quand des Modiano, Djian, Fleischer, Sollers, etc. sont écartés... Cela a une signification politique que peu de gens comprennent, car si c'est la position de Le Clézio qui est à mettre en avant, je préfère celle de Camus et du Général, n'en déplaise à certains...

Richard Millet a raison : je rentre du BHV et qu' ai-je vu ? Sous prétexte de faire peau neuve, destruction des rayons Culture pour donner encore plus de place aux rayons chiffons ! Partout des fringues !! Désormais ce qui était regroupé au premier étage se trouve éclaté : au cinquième les beaux-arts, au quatrième les cadres, et au premier les stylos et les livres, ces derniers ayant vu leur périmètre réduit de moitié (sic) et bien déporté dans le fond, et agencé n'importe comment... Le BHV confirme donc la lente agonie de la culture au détriment des fringues donc du paraître, de la mode donc de la bêtise affichée pour troupeau en mal de vivre...

c'est un combat perdu depuis longtemps, plus de dix ans que les PUF ne trônent plus place de la Sorbonne, et quand, étudiant, je m'en offusquait comme maintenant François Xavier le fait, auprès de mon cher professeur de Lettres, il me racontait comment, plus jeune, il avait lui aussi vu le Quartier Latin s'enchiffonner de la sorte. 

En effet, "on peinerait à expliquer à Millet que les minarets en Europe sont l’un des résultats de six décennies de course à la productivité", car il est malaisé de bien plaider une contre-vérité. L'africanisation et l'islamisation de l'Europe sont des phénomènes postérieurs aux Trente Glorieuses, qui ont accompagné la désindustrialisation de l'Europe, non son développement. C'est depuis que la Saine-Saint-Denis s'est vidée de ses usines qu'elle s'est remplie d'Africains !

Sur ce pseudo-livre (Langue fantôme suivi du fameux Éloge), sans pensée et sans style, ayant déclenché l'ire des bien-pensants (qui ne l'ont probablement pas lu), ce lien : http://www.juanasensio.com/archive/2012/09/10/eloge-litteraire-anders-breivik-richard-millet-de-roux.html.