Claude Michel Cluny revisite Waterloo

Si des historiens peuvent faire preuve de talent littéraire, il est en revanche plus rare qu’un poète renommé se révèle capable d’étudier un événement, une figure avec toute la rigueur requise. Claude Michel Cluny, sans doute l’un des plus grands poètes français, a relevé avec brio le défi lancé par La Différence, qui, dans sa nouvelle collection Mythologie des lieux, demande à un écrivain de se pencher, qui sur Alésia, qui sur la Tour Eiffel.

 

Le lettré passionné de polémologie et de géopolitique, le mémorialiste non-conformiste de L’Invention du Temps, a choisi Waterloo, là où le sort de l’Europe se joua en juin 1815. Avec autant de lucidité dans l’analyse que de clarté dans l’expression (ne dit-il pas que « un peuple qui a peur des mots est un peuple asservi » ?), Cluny oppose « l’autocrate sans foi ni loi », celui qui « ne tolère rien et veut régner partout », le despote miliaire qui « ne cesse de redessiner, d’un trait de plume sur le tambour des bivouacs, une Europe qui lui échappera toujours » aux tenants – Metternich ! – de l’équilibre continental, un temps garanti par le Traité de Westphalie (1648) et rétabli pour un siècle par le Traité de Vienne.

 

Napoléon apparaît en fait comme l’incarnation de la deuxième fonction guerrière chère à Dumézil : un génie militaire certes, mais exclusif, aveuglé par sa volonté de puissance au point de croire que la victoire des armes suffit pour instaurer un ordre durable, au mépris des réalités politiques et économiques. Pour l’arrêter, Wellington, The Iron Duke, un Irlandais né en 1769, comme le Corse. Deux hommes issus de la périphérie, qui s’affrontent au centre, dans ces Pays-Bas qui sont le tombeau des tentatives d’hégémonie continentale. Le Duc impose à l’Empereur et le champ de bataille et l’ordre des opérations. Présent parmi ses « garçons », Wellington fait subir à la cavalerie française un nouvel Azincourt : les boulets ramés, comme en haute mer, et les fusils Baker, dont les projectiles trouent casques et cuirasses, hachent menu hommes et chevaux. Retirée dans des carrés à la terrifiante puissance de tir, l’indéracinable infanterie anglaise force Napoléon à la fuite, abandonnant ses hommes comme Russie, en Egypte et à Leipzig, tel Darius III face à Alexandre.

 

Pour évoquer ces combats incandescents de haine, Cluny use d’un étincelant sens de la formule tout en faisant appel aux témoignages de l’époque comme aux commentaires des historiens, de Pirenne à Tulard… et des écrivains, de Custine à Morand. Souvent peu connues, les illustrations viennent mettre en valeur un texte d’une stimulante originalité.

 

Christopher Gérard

 

Claude Michel Cluny, Waterloo, Une bataille pour l’Europe, La Différence, « Mythologie des lieux », février 2012, 196 pages, 31,35 €

 

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