Souvent il nous arrive, au sortir du Salon du Livre, de nous sentir accaparés par des milliers d'âmes qui toutes veulent nous envahir de leurs paroles. Ces centaines d'écrivains. Ces milliers de livres.

Beaucoup sont intéressants. Nous voulons les lire. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit. C'est qu'il y en a trop. Une vie entière ne suffirait pas à lire ne fût-ce qu'un dixième de chacun de ces livres qui nous passionnent.

Parfois nous ressentons donc le besoin de confier nos choix à quelque anthologie, de nous laisser aller, de nous appuyer sur quelqu'un qui a tout lu, que ce soit dans un secteur géographique ou dans un domaine thématique.

Et voilà qu'il m'est arrivé l'autre jour de visiter un stand où arrivait en même temps que moi l'auteure d'un livre d'entretiens : Nathalie Philippe. Elle découvrait son livre en même temps que moi, premier acheteur et premier dédicataire. Faisant confiance à ma bonne étoile, qui place toujours sur mon chemin les bons livres et les bons auteurs, je saluai Nathalie Philippe, m'emparai de son livre et courus le lire chez moi.

C'est une mine.

Bien sûr, il y a là des auteurs archi-connus, voire même reconnus, tels qu'Ananda Devi, Fatou Diome, Henri Lopes, Alain Mabanckou, Scholastique Mukasonga ; mais encore il se trouve dans ce recueil Tanella Boni, Tidiane N'Diaye, Mamadou Mahmoud N'Dongo, et d'autres que l'on voudrait citer tous, tant ils nous intriguent. Leur relation au monde, les thèmes qu'ils abordent, les éternels stéréotypes qu'ils combattent (altérité, immigration, soi-disant pureté de l'Africain, corruption du continent ou des îles, etc...), le style incongru ou vif, tout cela nous fait besoin, nous lave le visage et nous rafraîchit.

Khadi Hane, l'auteure de Des Fourmis dans la bouche, nous parle d'une Africaine qui vit non loin du métro Château-Rouge : «... Tous les autres étaient des Maliens, vivant pour la plupart dans des foyers polygames, avec des enfants à profusion, qui n'hésitaient pas, malgré l'exiguïté, à héberger l'oncle malade, la tante mourante, le cousin ou un parent quelconque, fraîchement débarqué, avec pour seul bagage une valise remplie d'air. »  

Koffi Kwahulé, l'Ivoirien qui a écrit Babyface, à la question de savoir ce que peut sa démarche d'écrivain, répond : « Insinuer des doutes sur ce qui est censé être l'âme africaine, ébranler les certitudes sur la figure du « vrai Africain », sur « l'homme africain ». Sortir l'Afrique du déjà-là. Permettre qu'on ignore enfin ce qu'est l'Afrique. »

Les vingt-deux entretiens que conduit Nathalie Philippe sont tous passionnants. Elle connaît fort bien les littératures dont elle parle, et son ancien directeur de thèse, dans une préface élogieuse, est là pour en attester. Les paroles qu'elle recueille donnent sur un monde exceptionnellement vaste, et nous font ressentir à nouveau l'immense plaisir de la découverte.

Pour couronner le tout, son livre est bien édité, bien illustré, beau, d'une typographie agréable (merci aux éditions La Cheminante !) et l'on se surprend à le rouvrir comme ça, juste pour le plaisir.

Bertrand du Chambon

Nathalie Philippe, Paroles d'auteurs ! Afrique, Caraïbe, Océan Indien, éditions La Cheminante, collection Plein Champ. 307 pages, 22 €