Jean-Louis Lemarchand, Paroles de jazz : la musique à la source

Si la vérité, dit-on, sort de la bouche des enfants, celle du jazz sort des  propos  des musiciens. La vérité du jazz en train de se faire, de celui qui est riche de souvenirs, de celui qui naîtra demain, engendré par les enthousiasmes et les passions de ceux qui le pratiquent. C’est pourquoi un témoignage saisi sur le vif vaut mieux que les gloses les plus savantes. En l’écoutant parler, on en apprend plus sur la personnalité d’un musicien, sur ses aspirations esthétiques, sur le regard qu’il porte sur son œuvre et sur celle des autres, sur sa propre perception de la musique, que n’en pourrait révéler l’analyse, fût-elle brillante, de ses meilleurs soli. A tout le moins, les deux approches sont complémentaires, et c’est l’occasion de louer l’éditeur Joël Metay qui, à l’enseigne d’Alter ego, tient la balance égale entre l’une et l’autre.

 

Déjà auteur, en 2013, de Ce jour-là sur la planète Jazz, (même éditeur), Jean-Louis Lemarchand connaît bien l’importance de ces contacts directs. Depuis les années 90, il sillonne concerts et festivals à la rencontre des acteurs de cette musique, les invitant, par des questions toujours précises et pertinentes, à lever un coin du voile. Non des entretiens convenus, préparés de longue main, mais spontanés, comme un chorus improvisé sur scène. Ainsi naissent des chroniques alertes, publiées dans des revues diverses, généralistes comme La Tribune, VSD, l’Expansion, France-Soir, ou spécialisées, telles les DNJ et Jazz Magazine-Jazzman. Autant dire que chacun, connaisseur ou néophyte, peut en faire son miel. Car toutes, au-delà de l’intérêt strictement musical qu’elles suscitent, pèsent leur poids d’humanité.

 

Ce recueil regroupe trente-deux textes qui, de Ray Barretto à Joe Zawinul, offrent un panorama sinon exhaustif, du moins contrasté. S’y côtoient des figures historiques dont certaines, Ray Barretto, Michel Petrucciani, Joe Zawinul, ont rejoint les verts pâturages, tandis que d’autres, comme Ornette Coleman ou Archie Shepp, sont toujours en activité. On y rencontre des Français et des musiciens d’autres nationalités, principalement américains, ce qui va de soi. Des instrumentistes divers et des chanteuses. Des vétérans, tel le batteur Roy Haynes, fringant octogénaire, et de jeunes pousses comme Esperanza Spalding, contrebassiste et vocaliste, qui compte parmi ses admirateurs les plus fervents Herbie Hancock et le président des Etats-Unis, Barack Obama soi-même. ..

 

Pas question de les citer tous, bien que chacun des entretiens réserve son lot de révélations - sinon de surprises. Si l’on n’est guère étonné d’apprendre, de l’aveu même des intéressés, ce que l’on pressentait déjà, par exemple que Michel Portal a un goût prononcé pour la provocation, que Herbie Hancock aspire à une « musique globale » (ce qui est le cas de nombre d’interviewés, dont Gilberto Gil qui juge la world music « inévitable »), que Miles Davis et John Coltrane demeurent des sources majeures d’inspiration, que Lionel Belmondo professe pour Lili Boulanger une admiration sans bornes, on tombe sur des aveux plus inattendus. Ainsi de l’admiration du pianiste Ahmad Jamal pour Napoléon, ou du goût pour la cuisine italienne de Michel Petrucciani, qui prétend avec modestie et humour, en 1997, « je commence à peine à savoir un peu jouer ».

 

Chaque musicien fait l’objet d’une introduction et de notes permettant de suivre son parcours musical ultérieur à l’entretien. Une manière d’appareil critique qui fait de cette compilation un manuel fort utile. Utile et agréable, on l’aura compris. Mais il n’est pas superflu de le souligner.

 

Jacques Aboucaya

 

Jean-Louis Lemarchand, Paroles de jazz, préface de Jean Delmas. Editions Alter Ego, coll. « Jazz impressions », avril 2014, 96 p., 12 €

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.