Un livre sur la stratégie de la réussite: «Pour des têtes bien faites » de Marie-Thérèse Bertini

 

 

Marie-Thérèse Bertini fait partie de ces personnalités pour qui le nombre de causes qu’elles soutiennent n’a d’égal que l’énergie nécessaire à les défendre : chômage, éducation, refondation de l’école, emploi, analyse des stratégies de l’entreprise font partie de la longue liste, sûrement non exhaustive, de ses préoccupations.


Loin de vouloir occuper l’espace public pour renforcer les rangs des porteurs de vaines lamentations, elle opte pour un langage sans concession capable de bouleverser les habitudes et de réveiller les consciences. Refusant les postures et bousculant les conformismes, sa réflexion repose sur «une approche mûrement réfléchie», fruit de sa multiple appartenance d’universitaire, de chercheur et de chef d’entreprise, en mettant à contribution ses connaissances de linguistique structurale, de grammaire, de science de l’information et de philosophie.


Sur ce socle pluridisciplinaire, Marie-Thérèse Bertini a posé, il y a plus d’un quart de siècle, l’édifice de sa PME de conseils en ingénierie générative qui propose à des entreprises (banques, assurances et autres) des services utilisant le traitement de l’information comme pilier de leur compétitivité[1]. Parallèlement, elle s’est penchée sur l’écriture, traitant des problèmes liés aux grands thèmes et sujets de préoccupation de notre société contemporaine. Elle a écrit plusieurs livres, tous accompagnés de sous-titres évocateurs illustrant sa combativité et sa volonté de tordre le cou aux idées reçues : (Pour en finir avec) La Fabrique des chômeurs. Un patron de PME brise les tabous (2011), Pour des têtes bien faites (Les fondements d’une nouvelle École) (2013) et La Révolution de l’emploi (Non, le chômage n’est pas une fatalité) (2014).


«Refondre complétement les paradigmes de l’apprentissage, de la transmission des savoirs et de l’organisation du travail» est l’intention manifeste portée par son ouvrage Pour des têtes bien faites (Les fondements d’une nouvelle École). Consciente de la difficulté d’une telle tâche, Marie-Thérèse Bertini se concentre sur l’analyse des «règles de méthode et les principes généraux » qui doivent s’appliquer à tous les niveaux d’apprentissage scolaire du primaire au supérieur. Cette nécessité part d’un constat bien simple, mais loin d’être simpliste, et qui expliquerait l’absence de dynamisme d’une France restée à la traîne de la mondialisation : «le défaut de matière grise, la pénurie des têtes bien faites», comme elle aime bien les appeler. Voilà pourquoi, contre la paralysie engendrée par la spirale négative ambiante, cette femme infatigable invoque un changement complet de nos perspectives surtout celles portées par la redéfinition et l’appropriation de quelques notions essentielles contenues dans des paradigmes très concis : l’algorithme structural, l’information, l’objet, la grammaire et le planème.


Les disciples de l’immobilisme se sentiront sans doute bousculés dans leurs habitudes devant une telle exigence de synergie pluridisciplinaire : sauf que l’enjeu est trop important pour ne pas s’arrêter avec attention sur la brillante démonstration que Marie-Thérèse Bertini nous propose dans son livre. Démonstration d’autant plus nécessaire lorsque l’on sait que de sa compréhension découle toute une série de règles dans l’acquisition des connaissances.


Raison de plus aussi de regarder de plus près tous ces concepts, à commencer par celui de l’algorithme. L’importance de cette notion est intrinsèque à sa définition même, comme «suite d’instructions élémentaires effectuées en un nombre fini de pas, en vue de résoudre un problème et/ou une classe du problème». Elle découle également de son rôle prépondérant dans l’interprétation que Marie-Thérèse Bertini propose en l’actualisant à la fois dans l’utilisation des processus informatiques et dans l’acquisition générale des connaissances. S’appuyant sur les travaux du linguiste Gustave Guillaume, elle propose une nouvelle définition sous le nom d’«algorithme structural» procédant par «enchaînement logique de la pensée» permettant de décomposer la matière et «d’éviter de raisonner sur les pourquoi au lieu de se concentrer sur les quoi». En pratique, l’algorithme sert à faire une distinction entre un principe alternatif et un principe répétitif, «il permet de séparer le traitement de l’information de son contenu». Appliqué à l’apprentissage et à l’acquisition des connaissances, il permet de «lutter contre la confusion» et «d’introduire de la rigueur» et surtout « de former l’esprit sur des cas généraux pour échapper au particulier et au contenu et pour créer des structures rigoureuses».


Une autre notion qui mérite bien d’être éclairée pour bien des raisons, surtout celle d’éviter la mauvaise utilisation faite de nos jours, est celle de l’information. Croire que l’on maîtrise l’informatique parce que l’on sait cliquer sur une souris, nous dit Marie-Thérèse Bertini, c’est se méprendre de la correcte interprétation de la notion d’information. Car, encore une fois, cette notion n’a rien à voir avec le fait de savoir surfer sur la toile, encore moins de suivre l’actualité ou de lire le journal. Celles-ci ne sont que des «données factuelles, de renseignement», en somme un contre-sens par rapport à son vrai contenu. Pour mieux comprendre la spécificité de la notion d'information, au contenu massacré par tant de clichés, l’auteure nous invite à revenir à une interprétation scientifique comme donnée formelle et dire que «l’information n’est pas le message mais le degré de probabilité du message». Dépendante du contexte et de l’esprit du receveur, l’information est donc «un réducteur d’incertitude» ayant une valeur subjective. Marie-Thérèse Bertini n’hésite pas à donner un nombre suffisant d’exemples pour mieux structurer cette notion, selon elle, en fonction de trois paramètres : «l’information apporté par un message sur un événement, l’incertitude quant à l’événement, et la probabilité qu’a cet événement à se produire».  Ce rôle de «réducteur d’incertitude» dont nous parlions plus haut met en lumière un autre aspect important lié à la structure formelle du message, son décryptage permettant de le décomposer en éléments formels et de le transmettre automatiquement. Comprendre l’importance de cette notion, c’est savoir la séparer de celle de la connaissance, faire la différence entre le sens et la forme, à l’écart entre vécu et réel, distinction que Marie-Thérèse Bertini emprunte à l’analyse de Claude Lévi-Strauss.


Cela nous amène à une autre notion, celle de «matérialisation de l’information» et qui n’est autre que l’objet. Ensemble de données qui ramène le réel à un ensemble fini (objet « lunettes », par exemple), cette notion nous aide à apercevoir les choses comme des entités et à les utiliser dans la structures des algorithmes.


Cela ne serait pas possible sans un ensemble de règles qui, en termes de fonctionnement d’un langage, mais pas seulement, l’on appelle grammaire. Employer ce terme juste à son seul aspect linguistique, ce serait un tort. De point de vue de l’information, la grammaire agit seulement sur la syntaxe et non pas sur son contenu sémantique, qui est celui du sens. En informatique, la grammaire est «un ensemble de règles qui permet de traduire en langage-machine (binaire) le langage courant, en posant des règles précises de combinaisons des éléments pour construire des algorithmes». L’importance de cette discipline dans l’enseignement est capitale surtout par sa capacité de faciliter la compréhension des mécanismes qui régissent sur les constructions logiques capables de reproduire en termes de langage les objets du réel et l'interaction qui les régit.


Enfin, le dernier élément de la réflexion proposée par Marie-Thérèse Bertini est celui de planème. Il s’agit d’une notion de gestion du temps, supérieure au simple calendrier, permettant «d’organiser et de maîtriser les risques dans une situation donnée». Dans un monde de plus en plus complexe, trouver un moyen efficace capable de nous aider à éviter les dérives dues à la mise en œuvre de différents projets, peut s’avérer d’une grande utilité. On sortirait de la spirale du retard permanent et de la malédiction de l'éternel constat du non-respect des délais. La notion de planème est pour Marie-Thérèse Bertini le moyen d’une «véritable rupture avec les systèmes de pensée classiques», permettant l’acquisition des techniques d’apprentissage, comme, par exemple, la lecture, dans le domaine de l’éducation, ou de l’excellence en termes de qualité, dans le domaine de l’entreprise. En définissant l’objectif, en fixant les étapes, le rythme de progression, en éliminant ce qui est inutile, le planème peut s’avérer comme une «puissante structure de décodage des problèmes» capable de mettre en lumière à la fois les points de blocage et les solutions pour les dépasser.


Tout ce développement se retrouve résumé dans une conclusion pleine d’optimisme quant à la perspective d’une possible ouverture de ces principes à l’échelle de l’éducation et de la formation de notre jeunesse censée à devenir une génération intelligente, de «têtes bien faites». Nombreux sont sans doute les défis à relever, et nombreux sont les blocages qui nous empêchent à souscrire sans réserve aux propositions d’une telle révolution des mentalités.


Pour bien comprendre la démarche de Marie-Thérèse Bertini il suffit de nous interroger avec elle sur un des aspects les plus représentatifs de nos hésitations, voire de blocage, des opinions actuelles. Il s’agit du rapport que nos contemporains entretiennent avec la notion de règle. Sommes-nous prêts, s’interroge Marie-Thérèse Bertini, à admettre que la règle, comprise comme un «étonnement paradigmatique», révélatrice d’une dérive par rapport à une limite établie (habere regulam qua vera et falsa judicentur, selon Cicéron, Br. 152), est l’outil par excellence de notre liberté ? Oubliée donc la connotation rétrograde, restrictive du développement harmonieux de l’intelligence ! La règle, que ce soit dans le domaine de la grammaire et du langage ou dans toute production intelligente et logique, est en fait une des plus justes manières de gagner du temps et d'accroitre notre expérience. Respecter la règle, c’est «maximiser ses chances de trouver une solution ou de résoudre un problème».


C’est une manière de se soustraire à la domination des hypothèses, l’ennemi le plus insidieux de l’action et de la compréhension de l’essentiel dans la résolution des problèmes. C’est aussi le cas dans notre vie personnelle qui souffre tant, il faut le reconnaître, de la domination de tant de pourquoi qui nous laissent trop souvent au bord des routes sans destination et sans but, errant dans le territoire de tant de chimères.


Or, c’est contre toutes ces chimères, contre toutes ces hésitations que la démarche de Marie-Thérèse Bertini agit avec une énergie et une volonté inépuisables, afin de transmettre sa confiance dans la capacité de changer en réussite le paradigme de l’échec dans lequel notre monde semble enfermé.


Il y a certainement dans sa démarche une réponse à nos propres interrogations.


Et si l’on prenait le temps de l’écouter ?

 

Dan Burcea

 

Marie-Thérèse Bertini, Pour des têtes bien faites (Les fondements d’une nouvelle École), Editions L’Esprit du Temps, 2013,141 pages, 15 euros.

 

 

 


[1] Pour plus de détails, consulter le site : http://mtb-generative.com/index.php?langue=FR&done=1

 

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