D.A.F. de Sade : révision des poncifs

L’existentialisme n’est pas – si l’on en croit Sartre – un humanisme. La liberté non plus. Sade l’a affirmé haut et fort. Et c’est là où le bât blesse. Celui qui la revendiqua comme principe s’est vu affublé de tous les maux : mauvais seigneur et méchant homme pour paraphraser Molière. Il était temps qu’une femme vienne remettre les horloges sadiennes à l’heure.

L’idée que beaucoup se font de  Sade n'est qu'un empilement d'images. Mais pour atteindre le cœur de l’œuvre et de l’homme il faut savoir retirer une à une les strates ou ses "pelures d'oignons" comme le réclamait Lacan. Marie-Paule Farina prouve que le Divin Marquis n’est pas celui qu’on croît. Il fut dans sa vie plus du côté des victimes que des bourreaux qui partagent son corpus. Il fut souvent l'objet-autre investi par le désir de celles qui le poussèrent vers lui. Plaie plus que couteau sa vie prouve qu’il fut souvent mangé par l'autre.

Marie-Paule Farina le rapproche avec raison de la sublimation plus que de l'animalité. Contrairement à  d’autres elle n’occulte pas chez Sade l’effet retour de la puissance de l'autre. Elle  n’oublie pas de rappeler qu'elle est sa "demande" et comment son imaginaire se superpose  à un réel subi. A cela une raison majeure : on ne s'est pas assez intéressé à la voix narrative ou théâtrale bref au Qui parle? dans l’œuvre.  Et on a trop occulté ses lettres à sa femme et à ses amies.

 

 

Et c'est peut-être là que réside son intérêt majeur. Grâce à Marie-Paule Farina, Sade acquiert une autre densité,  une complexité et une épaisseur qui font glisser l'auteur vers une autre scène.  À ce titre la fameuse formule qui a guidé le travail de Lacan dans son effort pour repenser la rationalité (Notre voie est l’expérience intersubjective où le désir se fait reconnaître) est dans la logique de Sade. Comme Artaud le fera plus tard, celui-ci donne une autre topographie du désir de l'autre, topographie insupportable, quasiment "inacceptable" car inassimilable. D’où l’importance du livre de Marie-Paule Farina. Sans sanctifier l’auteur elle le dédouane de son prétendu état de nature

À l’inverse de tant de penseurs moralistes elle ne se casse pas les dents sur Sade. Elle le met face à nous et à notre pensée sans un retour de l'idéalisme. Et l’auteure – comme son sujet d’étude – n'a pas essayé de subordonner le désir pur au désir de reconnaissance. Elle reste bien éloignée de  bon nombre de plaisantins qui feignent de mépriser la peau de bête de Sade afin de préserver un angélisme idéologique propre à faire l’impasse sur tout effet de corps et de pouvoir.

 

Jean-Paul Gavard-Perret


Marie-Paul Farina, Sade et ses femmes, correspondance et journal, Éditions François Bourin, juin 2016, 24 euros

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