Le califat, comment décrypter une idée étrangère à l'Occident

L’universitaire face aux défis d’une actualité brûlante

 

Chercheur au CNRS, Nabil Mouline a déjà publié un ouvrage sur la notion de Califat : Le Califat imaginaire d’Ahmad al-Mansur, pouvoir et diplomatie au Maroc au XVIième siècle. Reconnu comme spécialiste des questions politico-religieuses qui agitent l’Islam, il signe ici une synthèse sur l’idée de califat à destination du grand public, d’une actualité brûlante lorsqu’on pense aux crimes perpétrés par les sectateurs de Daesh au nom de leur pseudo calife Abou Bakr al-Baghdadi, proclamé en 2014…

 

Une notion issue de la culture musulmane

 

Ce qui ressort des premiers chapitres de l’ouvrage de Nabil Mouline est que calife et califat sont des notions issues des débuts de l’islam, à un moment où les adeptes de Mahomet ont dû faire face à son décès, puis aux conséquences des formidables victoires remportées face à des empires affaiblis (Byzance et la Perse). Successeur du prophète, le calife concentre entre ses mains une autorité matérielle et spirituelle, se veut le chef de l’Oumma : on est loin des conceptions occidentales, illustrées par exemple par la lettre du pape Gélase à l’Empereur Anastase où sont distinguées ce qui relève du pouvoir temporel (ou potestas) des césars (puis des rois) et ce qui relève du pouvoir spirituel (ou auctoritas) des papes.

 

Un symbole plus qu’une réalité

 

En théorie doté d’un pouvoir absolu, les califes n’ont pu empêcher l’émiettement du monde musulman, puis l’accaparement des pouvoirs par leurs vizirs ou les mamelouks. Nabil Mouline restitue bien aussi combien la notion de calife a été l’objet de débats parmi les oulémas musulmans, la plupart acceptant l’autorité des califes tout en regrettant l’âge d’or des 4 (ou trois, c’est selon) premiers titulaires où la communauté des croyants se retrouvait uni derrière eux. Le dernier calife abbasside étant déposé au début du XVIième siècle par les turcs de Selim I, il faut attendre 1774 pour voir un descendant des Ottomans relever le titre, en partie pour faire face à l’annexion de la Crimée par les russes et pour garder une autorité religieuse sur les Tatars musulmans.

 

La nostalgie et la violence

 

Depuis que le dernier calife ottoman a été déposé par Mustafa Kemal en 1922, plusieurs ont essayé de reprendre le titre (le roi Fouad d’Egypte, le sultan du Maroc), sans succès. Les djihadistes d’aujourd’hui surfent sur les difficultés du monde musulman face à une modernité venue d’Occident qui transforme peu à peu les structures sociales traditionnelles, depuis au moins l’époque coloniale. Le geste des membres de Daesh vise à provoquer une mobilisation du monde musulman, travaillées par la nostalgie d’une unité mythique et à créer un Etat. Jusqu’ici, ils ont échoué à mobiliser les masses. La synthèse de Nabil Mouline, claire et courte, constitue une bonne introduction à un problème crucial de notre temps, c’est-à-dire la justification du terrorisme islamiste par ses propagandistes. Recommandé.

 

 

 

Sylvain Bonnet

 

Nabil Mouline, Le califat, Flammarion collection « champs », janvier 2016, 288 pages, 9 €

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