Joseph Bonaparte, le meilleur ami de Napoléon

 

Les cinéphiles attendent leur Woody Allen chaque année avec anxiété (sera-t-il bon ? Juste moyen ?), les amateurs d’Histoire napoléonienne vivent quant à eux dans l’espérance de la prochaine livraison de Thierry Lentz. Et, pour être honnête, l’historien déçoit rarement ses amateurs, en digne héritier de Jean Tulard. On lui doit une nouvelle histoire du premier Empire magistrale, des ouvrages sur Roederer, la conspiration du général Malet, Le congrès de Vienne, Waterloo (superbe ouvrage), etc… le voici de retour avec une biographie de Joseph Bonaparte, l’aîné de Napoléon. L’auteur avoue, après l’avoir beaucoup croisé dans ses recherches, s’être pris d’une fascination pour ce personnage à la fois célèbre et très méconnu, rejeté dans l’ombre en raison de ses liens avec l’un des plus grands hommes de l’Histoire (le mot n’est pas fort si on compare Napoléon à Alexandre le grand et si on garde à l’esprit que ces personnages sont le produit d’une époque et d’une société). Alors, partons à la découverte de Joseph.

 

Le seul ami de Napoléon

 

Né en 1768, Joseph Bonaparte n’a qu’a un an de différence avec son cadet Napoléon. Les deux enfants grandiront donc ensemble dans une Corse récemment soumise à l’influence française et sous la férule de parents à la stature imposante : ancien partisan de Pascal Paoli, Charles Bonaparte s’est rallié à la France et s’efforce de faire reconnaître l’ancienneté de sa noblesse ; Laetitia Ramolino les éleva plutôt strictement et avec l’aide de son demi-frère Fesch. Joseph et Napoléon ont été très proches dans leur enfance, même si le cadet, par son caractère farouche, émergeait du duo. Mais on est en Corse, Joseph est l’aîné et longtemps son cadet lui reconnaîtra une prééminence (qui perdurera dans les affaires familiales).

 

La politique, de la Corse à la France

 

Thierry Lentz raconte avec brio l’itinéraire de Joseph, destiné à l’église par ses parents et qui réussit, par un entêtement tranquille, à leur faire renoncer à cette idée. Nous sommes dans les années 1780 et Joseph se retrouve dans la position de chef de famille à la mort de son père. Il se lance dans la gestion du patrimoine familial tout en intriguant en Corse (il a ainsi pour allié un cousin, Charles André Pozzo di Borgo). La Révolution bouleverse les Bonaparte et va  les détacher peu à peu de Paoli (que Napoléon vénérait, a contrario de Joseph) pour leur faire choisir, par la force des choses, la France. Choix rémunérateur qui permet à Joseph Bonaparte de s’enrichir comme Commissaire des guerres (grâce à un compatriote, Salicetti, qui mériterait une biographie) et d’épouser une riche héritière marseillaise, Julie Clary (dont la sœur Désirée sera courtisée vainement par son cadet). Lorsque Napoléon, après bien des vicissitudes, est nommé à l’armée d’Italie, Joseph a sa propre vie. Il a sa propre vie. Reste que la gloire du cadet rejaillit sur l’aîné et complique bien les choses…

 

Le serviteur de son cadet

 

Dès Brumaire, Joseph se retrouve dans l’ombre de Napoléon désormais maître de la France. Avec maestria, il travaille à des traités de paix (Mortefontaine avec les Etats-Unis, Lunéville avec l’Autriche, Amiens avec l’Angleterre) et révèle des talents de diplomate. La stérilité du mariage de Napoléon fait de lui un héritier mais la question d’une possible adoption empoisonne leurs rapports. Joseph boude parfois, se retirant dans son domaine de Mortefontaine. Mais l’attrait du pouvoir est le plus fort : Napoléon fera de lui un roi de Naples (plutôt bon) puis un roi d’Espagne : la péninsule ibérique se révélera un piège et pour les français et a fortiori pour Joseph.

 

Après Napoléon

 

Malgré des sentiments libéraux nettement affichés, Joseph sera fidèle jusqu’à la fin à son cadet, condamné à l’exil : il lui proposera même à Rochefort en 1815 d’échanger leurs identités, ce que Napoléon refuse. Joseph part en Amérique où il s’intègre sans problèmes (malgré l’absence de sa femme, mais il y trouvera l’occasion de bonnes fortunes). La Révolution de 1830 et l’avènement de la Monarchie de Juillet ne lui offriront pas l’occasion d’un retour tant attendu… Il mourra en Italie, laissant à son neveu Louis-Napoléon la charge d’un parti bonapartiste qu’il n’aura pas su organiser. 

 

Cette excellente biographie donne une occasion de relire une période fondamentale de notre histoire par le biais de la vie d'un acteur longtemps méprisé par l’historiographie, trop marquée par les jugements hâtifs et rancuniers du mémorial de Las Cases.

 

Sylvain Bonnet


Thierry Lentz, Joseph Bonaparte, Perrin, août 2016, 720 pages, 27 €

 

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