Maurice et Jeannette, les oubliés de l'Histoire de France

Une historienne du politique 

 

Ancienne maoïste, sœur du grand spécialiste de la seconde guerre mondiale Olivier Wieviorka, Annette Wieviorka est une historienne contemporaine qui s’est peu à peu spécialisée dans l’étude et historiographie de la Shoah, signant par exemple en 2002 L’ère du témoin chez Hachette. En 2010, en suite logique de ses recherches sur la seconde guerre mondiale, le communisme et la judaïté, elle a publié chez Fayard une biographie du couple Thorez assez remarquée par les médias et le public, que la collection Tempus de Perrin republie aujourd’hui en poche. Pourquoi revenir sur la figure de Maurice Thorez, premier secrétaire du PCF pendant trente ans, déserteur en 1939 et ministre en 1945 ? Et sur celle de sa femme, Jeannette Vermeesch, connue surtout pour son opposition à la contraception ? Tout simplement parce qu’il s’agit d’une part de notre histoire nationale.

 

Deux enfants du peuple

 

La biographie d’Annette Wieviorka se veut celle d’un couple (c’est assez original) et nous présente donc les itinéraires croisés de Maurice et Jeannette. Le premier est issu d’une famille de mineurs du Nord (quoique de naissance illégitime) et est un pur enfant de ce milieu. Quant à Jeannette, elle est issue d’une famille de tisserands. Les deux deviennent militants et entrent au Parti communiste, comme d’autres en religion. Ce qui n’exclut pas de tomber amoureux. Marié, Maurice a un coup de foudre pour Jeannette (pas réciproque au début) et finira par la rejoindre un jour de 1934 avec ces mots merveilleux qui auraient ému leur ami Aragon : « Je vais chez toi. Pour toujours. » A côté de ce moment délicat et touchant, il y a le reste…

 

Aux ordres de L’URSS, malgré la France qui reste au cœur…

 

Toute leur vie, Maurice et Jeannette Thorez furent donc aux ordres de l’URSS, la patrie du socialisme et des lendemains radieux, via le Komintern ou d’autres canaux. Si Thorez fut un grand artisan (en récupérant au passage une idée qui était celle de son rival Jacques Doriot, futur collaborateur) du Front populaire, il soutint le pacte germano-soviétique de 1939, malgré des doutes plus que légitimes, et déserta pour rejoindre Moscou, sous l’égide de son mentor Eugen Fried (qui éleva son premier fils Maurice Jr). Thorez ne remit jamais en doute les consignes de Moscou…Cette désertion resta une « tache » dans son parcours que n’effaça pas la participation active de ses coreligionnaires à la Résistance. Toujours flanqué de Jeannette, Maurice Thorez passa donc la guerre en URSS, avec tous les privilèges dus à son rang de dirigeant d’un parti « frère ». Rentré en France, il devint ministre du Général de Gaulle, institua le statut des fonctionnaires avant d’être renvoyé dans ses foyers par Paul Ramadier en 1947… Pendant ce temps, Jeannette, élue députée, milite et s’engage dans l’Union des femmes françaises.

 

Amis des arts et réactionnaires ?

 

Du couple Thorez après la guerre, Annette Wievorka livre une image contrastée. Ils suivent toujours aveuglément les consignes de Moscou, du moins jusqu’à la mort de Staline. Après avoir soutenu ardemment l’effort de reconstruction, ils se mettent à la tête de mouvements quasi insurrectionnels en 1947-48 qui échouent : jamais Moscou n’a estimé possible une victoire révolutionnaire en France. Malgré la maladie, Maurice Thorez gère toujours son parti, de plus en plus aidé par sa femme (et aussi par Jacques Duclos). Jeannette Vermeesch n’hésitera pas à soutenir des positions natalistes en 1956, à rebours de certain(es) militant(es) qu’elle s’aliénera…Le couple fréquente Louis Aragon et Elsa Triolet, Picasso (malgré le faux pas de son portrait du jeune Staline en 1953), Fernand Léger, se donnant au passage une image d’amis des arts. Le couple se montrera rétif devant le mouvement de « déstalinisation » lancé par Khroutchev, ce qui sera une des causes (mais pas la seule) du déclin ultérieur du PCF.

 

Que garder de leur itinéraire commun ? Juste une page de l’Histoire de France, très bien exposée par la brillante Annette Wieviorka. Et surtout, à la base de leur engagement communiste, leur soif de justice sociale et d'égalité,  si typiquement française.

 

Sylvain Bonnet

 

Annette Wieviorka, Maurice et Jeannette, Perrin collection « tempus », février 2016, 863 pages, 16 €

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