Les mémoires dangereuses, richesses et limites d'un essai passionnant

Le spécialiste de la guerre d’Algérie

 

Au fil des années, Benjamin Stora s’est imposé comme l’historien de la guerre d’Algérie le plus reconnu par le public (il y en a d’autres, Raphaëlle Branche par exemple). Parmi ses publications, citons son histoire de la guerre d’Algérie, à La découverte, qui a été rééditée plusieurs fois, pour le plus grand bonheur des étudiants, et son essai Le mystère de Gaulle (Robert Laffont, 2010), remarquable par la précision prise à retracer les étapes du choix du Général fait en faveur de l’autodétermination de l’Algérie. Récemment, il a publié un essai sur la mémoire, Les clés retrouvées, en prenant comme sa propre enfance comme sujet. Alexis Jenni, avec lequel Stora dialogue au début de ce livre, est quant à lui l’auteur de L’art français de la guerre, prix Goncourt en 2011, qui avait comme sujet les guerres coloniales menées par la France au vingtième siècle. Ce dialogue inaugural précède une réédition du Tranfert d’une mémoire, essai publié par Benjamin Stora en 1999 et ici retravaillé.

 

L’Algérie française est toujours vivante

 

Quelle est la thèse développée ici par Benjamin Stora ? La difficile intégration des populations musulmanes, principalement originaire d’Algérie, trouve ses origines dans le passé colonial de la France qui imprègne les esprits. Benjamin Stora a raison de signaler que les concepts d’assimilation et d’intégration datent de la période coloniale et que tout un discours politique, à droite notamment, présente des analogies troublantes avec le passé. Dans son essai Transfert d’une mémoire, il a à cœur de démontrer la filiation entre le combat pour l’Algérie française et le Front national, où bon nombre d’anciens activistes pro OAS ont trouvé refuge. De même, la forte présence des pieds noirs et de leurs descendants dans le sud de la France est une des raisons de la forte implantation du Front National dans cette région.

 

Des limites d’une démarche

 

Il faut être clair : Les mémoires dangereuses constitue un livre passionnant, stimulant. Car il est évident que l’Algérie Française est un « passé qui ne passe pas ». Certains secteurs de la société française n’ont jamais fait le deuil de cet autre « bout de France » devenu indépendant en 1962. Reste que le concept de « sudisme » développé par l’historien pour expliquer en partie la crise identitaire actuelle laisse perplexe. Le « sudisme » rapproche la condition des pieds noirs de celle des blancs habitant le Sud des États-Unis, où régnait jusque dans les années 60 la ségrégation envers les noirs américains. Au-delà du fait que nombre de différences (dont l’absence de l’institution de l’esclavage) limite la pertinence de cette comparaison, le « sudisme » ne peut expliquer à lui tout seul le problème des banlieues, les attentats perpétrés en France depuis 2015 par des français (qu’ils soient d’origine immigrée ou convertis) et surtout la montée de l’islamisme qui menace l’ensemble de la nation française. Un travail sur la mémoire coloniale, salutaire, peut être effectué mais ne peut suffire à guérir le mal actuel.

 

 

 

Sylvain Bonnet

 

Benjamin Stora & Alexis Jenni, Les mémoires dangereuses, Albin Michel, janvier 2016, 240 pages, 18 €

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