Chambaron, l'art d'en dire long...

La 28e édition du salon du livre de Colmar devenu "festival" a célébré la littérature du sud et révélé, au stand d’un éditeur de la place, un auteur passionné par l’exercice désentravé de la langue française…

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On lirait le sud" proclamait l’affiche de ce 28e festival du livre.
Parmi 500 auteurs dont nombre de têtes d’affiche primées et très attendues sur les 12 000 m2 du parc des expositions, il a révélé, sur le stand des très colmariennes Dom éditions, la faconde d’un Marseillais perpétuel et "polyglobetrotteur" signant Chambaron.
Professionnel du verbe aussi affûté que comblé, il vend des livres comme par inadvertance en pratiquant un art de la conversation à bâtons rompus que bien des "communicants" pourraient lui envier.. Son motif de satisfaction du jour – ou de l’instant : il vient de corriger Bernard Pivot, le roi de la dictée… par tweet ("C’était sur un accord du participe") …

Correcteur de métier après avoir été lobbyiste, le praticien d’une littérraterre ("art d’écrire des choses élevées avec des mots au ras des oubliettes") qui rutile du verbe comme en résistance à l’œuvre de désarmement des esprits en cours donne forme livresque à son irrépressible inventivité verbale avec un Dictaphonaire (2007), déjà de référence – il s’en vend beaucoup en Suisse, allez savoir pourquoi...
En l’occurrence, son entrée en résistance a pris volume en un déroutant florilège de 1200 mots-valises qui précisément "font voyager l’esprit" en avivant gravement l’intelligence, quitte à inverser le sens du voyage mais le Verbe est un si beau navire de plaisance dont il suffit de rencontrer la promesse pour appareiller vers tous les dépassements...

La langue désentravée et l’unité nationale…

Son septième opus jubilatoire, Le Fourtoufounaire (2014), connaît une nouvelle jeunesse en se rhabillant pour l’hiver d’une élégante et intrigante jaquette qui appelle le geste de la main vers le bel objet- livre : "J’aime les citations latines. Ma préférée est : Homo homini lupus… Notre espèce trouvera-t-elle son prédateur ?"
Sa famille a été amputée de ses particules lors de la Révolution – aussi, il fait simple pour signer ses livres où il s’adonne sans retenue à l’art d’en dire long tout en faisant bref : "J’en ai tiré un nom de plume"...
 

Le diplômé de l’Ecole supérieure de commerce de Paris (ESCP) avoue sa fascination pour les hommes-livres du Fahrenheit 451 de Ray Bradbury et pour la poésie symboliste. Il a appris Les Fleurs du Mal par cœur à l’armée, se récitait Le Cimetière marin de Valéry en décasyllabes, connaît tous les Parnassiens tout en espérant devenir Cyrano de Bergerac dans une autre vie - et n’en pense pas moins à propos de la pouésie saisie ainsi : "écrits en vers dont la tête est infestée de pieds infectés"...
Dans une première vie dite active, il "fait carrière" distraitement dans la finance et l’industrie – son dernier poste était "responsable d’affaires réglementaires" auprès des autorités françaises ou européennes – avant de faire les frais des aléas d’un "plan social"… Le four-tout, il l’a vécu en toute rupture d’innocence, comme bien d’autres, dans sa déclinaison professionnelle en "placard doré à micro-ondes dans lequel on recase les durs à cuire" : "Je défendais des intérêts difficiles en France…"

A chacun ses espériances ("habitude d’attendre et d’y croire") mais pas question précisément de se laisser confire en habitures ("Il n’y a pas de bonnes habitures à prendre…), fussent-elles d’excellente qualité jubilatoire ou de s’engager dans une mortère – une "artère routière délétère et suicidaire"...
Alors, histoire de se ménager envers et contre tout un fuitur ("avenir qui recule lorsqu’on avance") ou de mosanger ("enjoliver les anicroches de la vie à coups de triples croches célestes"), il crée sa structure de "français professionnel", Orthogone – un organisme de formation pour adultes et correction des écrits (1) : "J’ai toujours été fasciné par le pouvoir du verbe, par l’art de convaincre. La langue a un incroyable pouvoir de régénération et de mutation. Le langage ne devrait pas être une pomme de discorde mais servir à l’unité nationale. Le français devrait être la troisième langue du monde en 2050 mais à condition de se simplifier pour se hisser à l’universalité. Elle gagne de nouveaux foyers d’implantation dans le monde en fonction des ambitions géostratégiques des uns et des autres mais il lui faut passer par un véritable choc de simplification sans y perdre son âme…"

Pour l’heure, son instinct verbal pousse aussi loin que possible les "étirements et les circonvolutions"» de la langue française ou les phosphorescences de la phrase comme pour libérer de son flacon le génie qui s’y sentait à l’étroit… Ou peut-être entend-il redresser une parole en faillite dans une société dont la communication d’une abyssale dilapidation donne une idée tant du crétinisme que du créditisme failli et de l’infini, tout compte fait…
Y aurait-il des mots à essayer comme des clés ? De ceux dont on pourrait se faire un trousseau de secours pour réintégrer un monde habitable ou être à soi tout un monde en réinvention dans son perpétuel inapaisement ?

Une première version condensée de cet article a paru dans Les Affiches d'Alsace-Lorraine.

Michel Loetscher

Chambaron, Le Fourtoufounaire, Dom éditions, 224 p., 10 €

 

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