L'écologie qui libère...

Les pionniers de  l’écologie véritable nous rappellent que l’on ne peut séparer l’amour de la nature de celui de la liberté.
Avant de se proclamer politique, l’écologie est une "science" qui analyse les relations entre les hommes, les animaux et leur environnement. Patrick Chastenet  rappelle le parcours de cinq pionniers de l’écologie pour qui on ne peut prétendre protéger la nature en défendant l’économie qui la détruit. Ni sans changer de société. Le professeur émérite en science politique (université de Bordeaux) souligne que le terme libertaire est indissociable de celui d’anarchiste. Les anarchistes professaient la nécessité de règles, librement consenties, pour vivre en société ». Réputés « ennemis de la démocratie, ils le sont d’autant moins qu’ils souhaitent non la détruire mais la réaliser pleinement.
Ainsi, le géographe naturiste Elisée Reclus (1830-1905) tenait l’anarchie pour la plus haute expression de l’ordre et l’idéal à atteindre pour qu’enfin les hommes puissent se gouverner eux-mêmes, sur la base de normes et de valeurs librement consenties.
Mais comment passer d’une société foncièrement injuste à une société juste sans recourir à la violence ni même à la contrainte ? Par une désobéissance fertile, puisqu’il est impossible de concilier la domination d’un seul et l’entraide fraternelle entre les hommes. Reclus prophétisa la marchandisation et la financiarisation des beautés naturelles : On vous fera payer pour écouter le bruit de l’écho... Et aujourd’hui le droit de circuler, de respirer voire d'accéder simplement à ce qui fait notre vie, "la vraie vie des vrais gens" ?
Jacques Ellul (1912-1994) publie en 1935 avec son ami Bernard Charbonneau (1910-1996) le Manifeste personnaliste qui remet en cause aussi bien le productivisme industriel que l’injustice sociale. Professeur à la faculté de droit de Strasbourg, il est dénoncé pour avoir exprimé ses craintes de l’incorporation des jeunes Alsaciens dans l’armée allemande... Révoqué par le gouvernement de Vichy, il s’improvise agriculteur dans  une ferme en Gironde, avant de passer de la Résistance à la révolution.
Patrick Chastenet résume l’hypothèse principale de son professeur et ami : L’homme croit se servir de la technique alors que c’est lui qui la sert  le voilà devenu l’instrument de ses instruments. L’utopie, c’est de croire que tout peut continuer, voire accélérer vers le pire sous l’emprise d’une idéologie techniciste. Celle-ci prétend nous sauver des problèmes engendrés par la technique par... toujours plus de technique !
Bernard Charbonneau rappelle que tout remonte à la fin de la civilisation agro-pastorale en  1945, lorsqu’un capitalisme technocratique a planifié la modernisation de l’agriculture avec les recettes déjà utilisées pour l’industrie, sous prétexte d’alléger le travail du paysan. Celui-ci a été acculé au surendettement pour renouveler son matériel en permanence – puis dépossédé, spolié, exproprié... Depuis, c’est en machines désormais que nous servons les machines dans une société-machine dont l’emballement précipite l’effondrement...
Or, ce n’est pas à l’homme de s’adapter à la machine, mais à la machine de s’adapter à l’homme...
Pour Charbonneau, diriger la technique, c’est replacer la charrue derrière les bœufs, en sauvant ensemble la nature et la liberté. Mais l’écologie, vidée de sa substance émancipatrice,  est recyclée en produit de consommation, en spectacle ou en posture, c’est-à-dire en écologisme orwellien, répressif et sacrificiel.
Depuis, cet écologisme hors sol prétend imposer une transition énergétique par une fuite en avant dans l’impasse des énergies renouvelables. Celles-ci ne font que s’ajouter aux énergies fossiles sans s’y substituer – avec l’inconvénient de leur peu d’efficacité, en plus, puisque les objectifs de décarbonation reposent sur des technologies compensatoires lesquelles...restent à inventer, en plus des existantes... Avec toujours plus d’électrification, de déferlement numérique et de folles ruées extractivistes. Charbonneau avait anticipé le virage écologique imposé par les principaux responsables de la destruction de la planète qui prétendront organiser son sauvetage en gérant la pénurie – pour l’aggraver... Le verdissement rhétorique ne serait-il qu’un éco-enfumage permettant à d’autoproclamés défenseurs de la planète d’imposer un greenwashing institutionnalisé selon leurs seuls intérêts qui ne sont pas ceux de "tout le monde" ?
Pour l’ancien prêtre Ivan Illich (1926-2002), la machine a donné figure nouvelle à l’esclavage – car l’outil, de serviteur, devient despote. Ainsi, l’écocrate prend la relève du technocrate. Illich en appelle à une société conviviale où l’acte personnel retrouve une valeur plus grande que la fabrication des choses et la manipulation des êtres.
Murray Bookchin (1921-2006), enseignant en écologie sociale, s’opposait au tout chimique qui détruit la santé comme les sols ainsi qu’à l’écologie politicienne qui légitime le pouvoir d’État aux dépens du pouvoir populaire. Porte-parole de l’anarchisme social, il prévenait dès 1969 : Les solutions seront à la mesure du problème, ou alors la nature prendra sur l’humanité une terrible vengeance. La nature, en prédateur ultime ?
Patrick Chastenet a bien connu trois des penseurs qu’il présente (Ellul, Charbonneau, Illich). Son essai est œuvre d’amitié autant que de rigueur universitaire pour rappeler que l’écologie véritable s’enracine dans une authentique quête de liberté. S’il faudra choisir entre manger ou conduire, ce n’est qu’en préservant  ensemble nature et liberté que nous habiterons un monde aussi désirable que soutenable.

Michel Loetscher

Patrick Chastenet, Les racines libertaires de l’écologie politique, L’échappée, février 2023, 240 p.-, 20€

Première version parue dans Naturisme magazine

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