Eugène Savitzkaya : odeurs (de sainteté ?)

Une nouvelle fois Eugnène Savitzkaya est à la recherche du feu fondateur à travers fragrances et sensations. Cela ne se fait pas sans heurts. Fumées et scories sont le prix à payer pour créer un nouveau monde.
Celui-ci se nourrit de matière comme d'autres se nourrissent de rats, de grenouilles et de menu fretin, de porcs, de canards, de navets jaunes ou d'hommes et de femmes."
Mais c'est ainsi qu'une libération avance tout feu tout flamme. A l'homme de savoir si c'est "vers le néant des choses, des êtres" ou si peuvent refleurir des fruits, fermenter un sang neuf pour que la vie enivre encore.

Certes la puanteur monte aux milieux des moisissures et des cristallisations. Mais le mot d'ordre demeure claire : Joies ! Joies ! Mille Joies ! Tel est le leitmotiv qui est là pour tarauder le bien penser.
Les dialogues sont grivois mais juste ce qu'il faut. A l'homme nu qui demande à la femme dans le même appareil Comment aimes-tu ma courgette ? et celle-ci répond sans ambages : Je me la fourre sous l’aisselle, je me la pousse dans l’oreille, je me la passe à la ceinture de soie, et je me la plie en deux.
L'auteur retrouve une langue mère, non expurgée mais elle garde  la métaphore ailée.

Reste au lecteur de s'essuyer l'esprit sur le paillasson d'odes en désordre qui ignorent les odalisques. Les vierges aux robes blanches et bleues (qu'on nomme parfois Vierge ou Saintes), sont soudain métamorphosées par des baies rouges, des oranges et des grenades.
Elles sont maîtresses des poissons et des castors qui insufflent la vie par tous nos pores. Qu'importe nos faiblesses et les tempêtes sous nos crânes. Si bien que Ode au paillasson, La guerre des anges, Peuples périssables et Contre l’homme constituent une féerie verbale, un enfer de vagues. Ils apprennent à voler moins dans l'azur que dans une fornication paradoxale.

Le corps est perçu comme cadavre mais dépasse l'abîme de la mort dans un désir cannibale. Savitzkaya met en garde contre le danger de la lettre et les jeux de surface. Il invite à retrouver les vertus de l'épaisseur du corps à l'image de ses doubles qui soulignent le danger mortel que représente la tentation de fusion littéraire littérale : le livre n'est pas le corps, le mot n'est pas la chose, tout comme l'art n'est pas la vie.
 

Jean-Paul Gavard-Perret

Eugène Savitzkaya, Ode au paillasson, Ed. Le Cadran Ligné, mai 2019, 64 p., 14 €

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