Les meilleurs extraits de la rentrée littéraire de septembre 2017 sélectionnés par Annick Geille.

Philippe Forest. Extrait de : Rien que Rubens

EXTRAIT >

Fort du prestige supposé que ses livres lui ont conféré, l’écrivain s’arroge le droit de parler de peinture en son nom propre et à la première personne du singulier. Il ne tire que de lui-même l’opinion qu’une œuvre d’art lui inspire. Il écarte d’un revers de la main tout ce qu’ont écrit avant lui les savants, les professeurs, les critiques – dont, sans l’avouer, il ne se prive pourtant pas de piller les travaux au passage. Il prétend posséder une vérité plus haute que toutes les autres.

Il ne doute pas, en effet, d’être le premier, le seul à dire vrai sur le peintre dont il parle. Non content de rétablir la vérité, il entend redresser le tort dont l’artiste qu’il a élu aurait été la victime, dénonçant l’unanime conspiration qui s’acharne sur lui, la malveillance, la bêtise dont il fait les frais. Ce qui, parfois, n’est pas sans étonner le lecteur. Particulièrement lorsque le peintre jouit d’une gloire indiscutée et mille fois supérieure à celle de l’écrivain qui fait mine de se porter assez inutilement à son secours afin de le sauver de l’oubli, de l’indifférence, de l’incompréhension auxquels, prétend-il, la postérité le condamnerait sans lui.

 

Souvent, le livre qu’un écrivain consacre à un artiste prend l’apparence d’une promenade enchantée parmi les paysages que celui-ci a peints, d’une rencontre vagabonde avec les personnages dont il a fait le portrait. L’auteur se rappelle en termes solennels la révélation qu’enfant, frappé par une grâce soudaine, visitant un musée ou bien feuilletant un album, il reçut de l’artiste. Il se souvient. Ce qui veut dire : qu’il invente. Il raconte plutôt qu’il ne démontre. Il décrit plutôt qu’il ne discute. Les digressions lui tiennent lieu d’arguments. Les anecdotes qu’il multiplie le dispensent des analyses dont il n’a pas les moyens. Comme dans un moulin ouvert à tous les vents, il entre dans une œuvre où il s’installe comme s’il y était chez lui. Il en fait la matière d’un roman, d’un poème qu’il signe aussi sûrement que s’il s’agissait du sien.

Tel le philosophe qui, souverainement et a n de mieux penser à sa guise, écarte les faits, non content de faire table rase de tout ce qui fut écrit avant lui, l’écrivain donne le sentiment d’avoir oublié jusqu’aux tableaux sur lesquels il déclare se pencher. Il n’en parle pas. Ou bien : ce qu’il en dit pourrait s’appliquer aussi bien à ceux de n’importe quel autre artiste. Seule compte la démonstration à laquelle ils lui servent et qui vise à exalter la certitude indifférenciée, la vérité vide et interchangeable qui éclate dans toute œuvre d’art.

Le plaidoyer est pro domo, cela va de soi. L’écrivain peut bien s’abaisser humblement devant le peintre dont il prononce la louange et duquel il se déclare indigne, il ne manque pas de proclamer que ses mots sont infirmes face aux images auxquelles, maladroitement, il les applique. Nul n’est trop dupe.

En réalité, il ne doute pas d’être indispensable à l’artiste et, faisant parler sa peinture, de lui donner seul le sens qui lui manque et qui la justifie enfin. Il aspire simplement à prendre sa place.

 

La littérature rêve la peinture. Elle la rêve d’autant mieux qu’abusivement elle se prévaut de son silence supposé a n de poursuivre avec elle-même la longue conversation dans laquelle elle se trouve de son côté engagée. Quand ce n’est pas le monologue un peu maniaque au sein duquel elle tourne, ruminant les sempiternelles obsessions qui n’appartiennent qu’à l’auteur qui s’y abandonne.

Chaque œuvre d’art est comme un miroir dans lequel se réfléchit le visage de celui qui la contemple. Le Picasso d’Apollinaire n’est pas celui de Malraux qui n’est pas le même que celui d’Aragon qui diffère encore de celui de Sollers.

© Réunion des musées nationaux 2017

© Photo : JF Paga

 

Quatrième de couverture > Philippe Forest va à la rencontre de Rubens, il l’interroge, l’observe, essaie de le comprendre à travers des toiles où l’autobiographie et l’allégorie se mêlent et où s’expriment les peines que l’artiste a éprouvées comme les joies qu’il a connues. Il en résulte un texte personnel qui a tout à la fois valeur de portrait et d’autoportrait et à la faveur duquel le romancier retrouve les sujets qui lui sont chers : la disparition, le deuil et ce qui leur survit.

Pages choisies par Annick Geille

Philippe Forest, Rien que Rubens, Réunion des musées nationaux, septembre 2017, 80 pages, 14,90 €

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