Fabienne Juhel, A l'angle du renard : Un roman envoûtant

« C'est que des mots j'en ai plein ma mémoire. Comme des cailloux dans une carrière. Parce que quand on est môme, on apprend à se taire et à écouter. Et à ronger son frein.

- Tais-toi quand ton père parle, elle disait la Mère.
Le Père allait à l'économie avec les paroles. Alors fallait pas rater le coche. »

 

Nous avons découvert Fabienne Juhel lors de la rentrée littéraire avec Les oubliés de la lande sans avoir eu l’occasion de lire A l’angle du Renard, un roman paru aux éditions Le Rouergue en janvier 2009 et qui avait reçu le prix Ouest France/Étonnants voyageurs, le prix Emile Guillaumin et le prix A la page. Sa réédition aux éditions babel permet de réparer cette erreur et de ne pas passer à côté d’un roman envoûtant.

 

Arsène Le Rigoleur n’est pas vraiment un rigolo et n’aime pas vraiment qu’on fasse des raccourcis sur son nom de famille. Quant à son prénom, il le doit à une lubie de sa marraine Ernestine qui a brûlé vive dans le poulailler, bien fait pour elle avec ses idées saugrenues. Non décidément, ce patronyme est trompeur et puis Rigolo, ça rime avec salaud, Marion, celle qu’il avait invitée dans la grange, l’a appris à ses dépends. Finalement, ce quarantenaire bourru est aussi bien seul et tranquille dans la ferme familiale dans laquelle il se terre tel le Renard en sa tanière. Mais l’arrivée de la famille Maffart, des gens de la ville, dans la ferme du père Morvan, va venir perturber le quotidien du vieux gars breton. La fillette de 5 ans, Juliette, aime venir lui parler tandis que son frère aîné, Louis, tourne autour d’Arsène sans jamais s’approcher, un peu comme un renard autour d’un poulailler. La mère quant à elle, voit d’un mauvais œil la présence de ce vieux gars. Toute cette agitation ne lui plait guère et il ne faudrait pas que cela dérange François, là-bas derrière le hangar.

 

C’est dans une langue âpre, celle des taiseux, que Fabienne Juhel nous transporte dans l'univers brutal et pourtant poétique de la Bretagne profonde. Une langue simple et brute qui cache des sentiments complexes. Peu à peu, le lecteur découvre le personnage d’Arsène, un être simple, attaché à sa terre, qui vit au grès de ses visites à la Mère, de ses discussions avec son pote Yvan et de son feu follet, Juliette. On aime son bon sens paysan, son attachement à la terre et l’on s’indigne des préjugés de madame Maffart : ce n’est pas parce qu’on a quarante ans, que l’on n’est pas marié que l’on est forcement un horrible pédophile. Mais on a aussi peur de ses souvenirs et de son obsession pour François. Une ambigüité dont il est difficile de se départir jusqu’au dénouement final.

 

A l’angle du Renard est donc un roman envoûtant qui prouve encore le talent de Fabienne Juhel pour nous transporter dans des univers oniriques.

 

Julie Lecanu

 

Fabienne Juhel, A l’angle du renard, Editions Babel, août 2012 (1ère édition en 2009 aux éditions Le Rouergue), 252 pages, 7,80 euros. 

 

Aucun commentaire pour ce contenu.