Romain Noël : généalogie de l'écrivain

Généralement les Editions Fata Morgana publient des écrivains reconnus. Romain Noël déroge à la règle et une telle distinction est significative. A 23 ans l’auteur présente un texte impressionnant. Un peu perdu dans de spécieuses études de Lettres le jeune auteur surdoué en a perçu toute la vacuité. Il a préféré faire le grand saut dans la littérature plutôt que baratter ses scolies. Il a vu juste :dans  « Errare » une ombre grandit sur la solitude de l’auteur mais son acte textuel (comme on dit dans les études de lettres) instruit un poème du temps et des lieux. 


L’écriture crée une fissure dans le présent mais aussi un lien avec lui. Le vide auquel le texte donne sens favorise le dialogue et l’écoute d’un vécu qui n’est pas rapporté sous le registre d’une banale autofiction. Le quotidien est dégraissé. Romain  Noël retient  les lignes de force soumises néanmoins au réel mais un réel « mythique » : « Je sais je parle de très loin. Contrairement à nombre des miens je suis resté au cœur du massif. Je m’éloigne du Paradis tout en m’approchant de la terre. Je vais d’erreur en erreur, au plus fort de l’exil ». Le texte devient  un récit d’abyme écrit dans un temps dont le présent est à la fois celui de l’écriture mais peut sembler aussi un « éternel présent ».


« Errare » est  tout autant un dialogue qu’un soliloque car il nous interpelle. Mais un dialogue éloigné des répliques que des rôles. Son écriture donne à la fuite du Paradis  une étendue dans laquelle la liberté semble impossible. Mais au corps défendant de l’auteur celle-ci se dessine par un chant dégagé de tout lyrisme. L’auteur a beau estimé qu’il « continue à marcher au désert. Toujours plus loin du Paradis. Toujours plus près de l’Enfer» : quelque chose s’amorce dans la progression comme l’écriture se crée en avançant.  Certes l’angoisse donne une évidence bouleversante au parcours de « Errare» et ses lieux. Elle en métamorphose la perception. L’auteur voudrait les transformer en  écrin re-clos, en aître (âtre de son être). Mais la poussée vers l’avant existe mais elle n’est pas sans se nourrir des rhizomes des verts paradis de l’enfance. C’est pourquoi l’écriture dans sa marche et sa démarche évoque contre toute attente autant le lieu du repli sue de l’imminence. Comme Edouard Levé en son temps - auquel on ne peut s’empêcher de le comparer -  l’auteur est en quête d’un espace désempli, d’un lieu “ blanc ” qui signale l’espacement général, la mutité, les interstices aux lacunes importantes.


En ce sens on peut considérer l’auteur comme un "décréateur" tant surgit le désir de déconstruire les espaces du dehors et du dedans afin d’absenter le lecteur de tout ce qu’il pourrait définir ou nommer comme “ objet visible ”. Rien de plus flou et  de quasiment conceptuel que les termes de Paradis et d’Enfer. Mais à la recherche de sa « caverne » l’auteur  rend orphelin de tout. Il impose un acte de clôture, de privation qui, pourtant, éclate de manière lumineuse. Dans sa tentative de clore l’espace visuel et mental s’ouvre une brèche dans ce qui tient à tout effet de réel afin de soumettre le regard et l’esprit à un autre champ de perception et de conceptualisation. Celui-ci devient la substance compacte du lieu même de la page écrite (et parfois dessinée).

 

En conséquence, il existe dans « Errare » ni lieu, ni vide. Comme si sous le ciel tout était plombé - temps compris. Mais le ciel comme le temps ne vieillissent pas : seul l’être vieillit. A partir de ce constat premier et en dépit des symptômes mortifères qu’engage la vie, sa réalité n’est pas fantasmatique : paradis (passé), enfer (attendu) restent des « idéaux » faits d’apparitions et de gouffres que l’écriture de l’auteur peut apprivoiser à l’aide des touches mouvantes de ses étoiles filantes.


De l’horizon désert, Romain Noël, tel un opérateur, produit des ombres de ce que nous appelons le lointain - même lorsque celui-ci est en fond de nous. Quant à l’horizon de l’œuvre il devient une zone de temps et de lieu particulière, une zone “ anachronique ”. L’écrivain crée en conséquence non la fable du lieu mais le lieu d’une fable dont les questions comme toutes celles de la littérature doivent être “ volontairement et essentiellement mal posées ” (Danielle Mémoire) afin de déranger la façon de voir le monde et de le penser  nourrie de la crainte (ou du plaisir) de s’y noyer.

 

L’œuvre est prenante voire pathétique dans sa tentative de maîtriser les conditions où la vie s’expose sans se parodier. Le réel n’y est qu’un cadre, qu’un fond, qu’une enceinte ou un cerne. Il ne prendra pas forcément le cours que  l’auteur « entend ». Dans le cas inverse sa position deviendrait impossible. A force de chanceler il pourrait croire que toute ouverture le projetterait en un espace vide selon un enchaînement ininterrompu. Mais le fait de ne pas trouver son ou ses lieux ne doit pas le soustraire du contact des êtres.  Après l’exploration de ses « déserts » il ne faut pas qu’une telle expérience dévore son énergie et sa puissance créatrice. Quittant les territoires mortifères il  peut atteindre au fil du temps une condition plus “ littorale ” de l’existence comme de l’écriture.  Ayant expérimenté tous les états de non-lieu sa trajectoire devrait bifurquer. Enfer ou ciel qu’importe a-t-on envie de lui rétorquer du bas de notre vieillesse. Ce qui importe est la trajectoire qui s’ouvre. Elle  annonce un écrivain rare dont l’assomption commence.  Son rite de passage est une réussite.

 

Jean-Paul Gavard-Perret


Romain Noël, Errare, dessins de l’auteur, Fata Morgana, 48 pages, 2013

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