Roland Sénéca contre le déclin du temps

Chez Sénéca entre images et mots les corps sont autant disloqués que disposés en cœur dans la région où la pensée n’est que panier percé. Les courbent tranchant au noir, dans l’obscur surgit la plénière épaisseur.
Le feu se pourra-t-il scellé ? La chair jadis très douce, connue se transforme en corps de nuit et de jour jetés l’un contre l’autre en ronde et parade pour - qui sait ? - libérer du manque.

Il y a des noyaux d’ombre centraux, conjugués dans un certain agir, attendant que les ventres se joignent dans le trou dont le support devient la figure.
Renversement de ligne dans l’envers et la verse. Le change donne la bête aux enfers. L’afflux gicle dans la prochaine fonte des soies. S’entreluit la brûlure. Celui de la petite mort retirée à la grande dont elle est ici le miroir.Tout se gonfle de changes.
L’œuvre devient une remontée. Mieux : une régénérescence. Sénéca fait revivre des légendes, des connaissances perdues et des civilisations parfois ensevelies. Sa manière de les aborder vaut mieux que tous les traités d’archéologie même s’il leur emprunte quelques bribes dans une correspondance avec les images et les écritures originelles pour retrouver une infime histoire du passé dans laquelle chaque dessin devient un archétype.

Celui-là cadre et décadre les repères proposés même par la postmodernité. Face à ceux qui font détester les légendes, il faut l'orgueil intellectuel d'un tel créateur pour prendre les armes et retrouver la direction du vol de l’oiseau : corbeau blanc, chouette diurne et bien d'autres "choses" encore.
Dès lors - par son graphisme particulier bien plus moderne qu’il l’imagine lui-même - Sénéca propose moins un retout qu'il signale une avancée. Du temps où les dieux étaient les hommes l'artiste prouve que leur puissance passait par des symboliques aujourd'hui anéanties par fausse superbe et ignorance.

Cela permet en outre de prendre la mesure de l'espace et du temps. Ils sont soudain ouverts à un cosmos que l’artiste force à réviser en conduisant  par ses créatures vers des ailleurs qu'il recompose dans l'espoir que les hauts esprits des cultures oubliées nourrissent une science-fiction inédite: elle sort de l'infantilisme où jusque-là le genre est cantonné.

Jean-Paul Gavard-Perret

Roland Sénéca, Créatures, Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 2019, 104 p., 21 euros

 

 

 

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