Roland Sénéca : la vocation du faire

Mon esprit n’est pas suffisamment philosophique pour analyser l’évolution de la pensée, écrit modestement Sénéca. Mais il prouve le contraire à travers ses dessins. Ils sont des loupes qui grossissent ce qui est diffus tout comme, écrit-il, ce que nous n’avons pas encore commencé à penser.
Pour y parvenir l'artiste (mais aussi écrivain) crée un univers ni figuratif ni abstrait, il n’a pas plus de destination que d’origine : les mots soufflent sur les images et les images sur les mots.

Dès lors son livre devient une somme poétique et plastique. C'est une méditation sur ce qu'il en est de l'art, de l'être dans l'attitude qui voudrait réunir deux actes contradictoires ; à la fois la contemplation de la forme et l'espoir de sa transformation. Mots et images se développent ou s'invaginent au sein d'une intériorité. Elle se met au jour en sortant des abîmes.

Les sexualisations féminine et masculine demeurent mais selon des épisodes et des formes inédites au sein de corps certes présents mais dégagés de leurs données immédiates. Tout est bien plus complexe et profond. C'est comme si l'inconscient avait enfin droit de citer à travers de nouveaux paradigmes que Claude Louis-Combet précise à propos du travail de l'artiste Le corps au carré dans son habit de lignes.

Sénéca habille la chair dont la viande devient un étrange fruit. Le coeur vulnéré s'infuse dans la torsion des désirs et de multiples tourments. Ils dépassent le pur psychologisme. Tout devient ici rêverie en acte par le dessin qui à la fois semble fuir mais en comblant des vides. La trace demeure aussi corporelle qu'essentialiste. Les lignes deviennent aimants, lunes, mères, flammes et feuillages. Ce qui restait jusque là à l'abri des ventres trouve soudain une chambre d'écho et sort des sarting-blocks de la peau.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Roland Sénéca, Créatures, Fata Morgana, février 2019, 104 p.-, 21 €

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