Ce livre donne l’impression d’une virtuosité même si l’auteur ne cesse de la casser. Il ne s’agit jamais de décrire mais d’écrire là où les narrateurs  – à l’inverse de ce qui se passe chez Pirandello ou Calvino – ne sont plus en quête d’auteur mais vivent de sa perte et ne cherche pas à mettre la main dessus. Néanmoins celle de Bourdon les tiens. Et l’auteur scénarise souvent ce type de situations.
Cette relation ressemble à un discours de la méthode  très particulier : il  ignore la logique et le raisonnable.  Les récits fourmillent de portraits dégingandés et l’auteur se retrouve en porte à faux entre lui-même et l'univers de l'Orénoque et sa mythologie.
Il existe là grandeur et décadence en un labyrinthe  où – en des parcours forcément tortueux – le lecteur se perd entre dédoublement et modifications. Le passage à l’altérité renvoie  du pareil en même… Si bien que demeure entre le lecteur un l’œuvre une rencontre volontairement impossible, un seuil infranchissable là où récits, poèmes en prose, chapitres de romans se disputent les pages : Sans doute me faudrait-il d’emblée les congédier, mais il m’est impossible de résister au flux, comme l'écrit l'auteur en un autre de ses livres.
Dans ce flot ininterrompu qui épouse celui du fleuve, il laisse jouer un certain hasard sans se soucier de  la menace qui pèse sur certains narrateurs. L’objectif est moins l’érection d’un univers que de mettre à mal certaines visées de langage dans sa prétention à l’abstraction spéculative ou la narration romanesque spéculaire ou épique. 
En ce sens l’œuvre ne ressemble à aucune autre : moins obsessionnelle que celle de Claude Louis Combet, moins axée sur la volonté de faire corpus comme chez Borges, l’artiste prouve une maîtrise absolue pour transformer l’angoisse existentielle des aventuriers en farce fort civile mais tout autant imprécatrice.

Jean-Paul Gavard-Perret

Daniel Bourdon, Orinoco, Fata Morgana, janvier 2023, 136 p.-, 23€