"Nixon", l'homme d'Etat

Le prince des ténèbres


Nixon, pour beaucoup, est le diable. Le scandale du Watergate a durablement terni la réputation, puis le souvenir de Richard Nixon - qui inspira Georges Lucas pour créer le personnage de l’Empereur Palpatine dans Star Wars ( !). L’homme a pourtant un parcours étonnant. Elu très jeune sénateur, il s’impose comme candidat à la vice-présidence sur le ticket républicain de 1952 avec Eisenhower. Battu d’une courte tête en 1960 par Kennedy, il est élu président en 1968 et très largement réélu en 1972. Sa carrière politique englobe toute la période de la guerre froide et il réussit après sa démission forcée à revenir au premier plan dans les années 80 grâce à la publication de ses mémoires et à sa réputation de grand connaisseur des affaires internationales. Qui était Nixon ? Un rejeton de l’extrême-droite, un apprenti dictateur ? Un anti communiste fanatique ? Un fou ? Ou alors un faiseur de paix ? Un politicien centriste qui a voulu réaliser avec Ted Kennedy une réforme de la santé bien plus à gauche que celle d’Obama (dixit Paul Krugman) ?


Le choix d’une carrière dans l’anticommunisme


Inscrit au parti républicain, Nixon a fait carrière dans l’anticommunisme. Pour sa première campagne en Californie contre la démocrate Helen Douglas, femme de l’acteur Melvyn Douglas et activiste du new deal de Roosevelt, Nixon a joué sur la corde sensible de l’électorat en multipliant les insinuations sur le supposé « cryptocommunisme » de son adversaire à un moment où la grande alliance du temps de guerre s’effondrait. Surtout l’affaire Alger Hiss, ce fonctionnaire du département d’état accusé d’avoir livré des secrets militaires aux soviétiques , lui a permis de se poser en héros américain (Antoine Coppolani démontre ici que, en l’état de la recherche historique, Hiss était réellement un espion, que Nixon avait raison, ce qui choquera plus d’un) et de bénéficier du soutien financier de la droite républicaine. Nixon, pourtant, se tient à distance de McCarthy. Il l’encourage, le laisse faire mais il donne aussi des gages de respectabilité, s’efforce de se positionner au centre de la sphère anticommuniste à Washington afin de se rendre incontournable.


S’il suscite déjà des haines inexpiables - le démocrate Adlaï Stevenson refuse par exemple de lui serrer la main lors de cocktails-, il apprend aussi énormément auprès des frères Dulles, l’un étant patron de la CIA et l’autre secrétaire d’Etat. Nixon multiplie les voyages à l’étranger, n’hésite pas à aller braver les foules anti américaines au besoin et assure l’intérim de la présidence lorsqu’Eisenhower doit subir une grave opération. Peu à peu, il impose l’image - en grande partie vraie - d’un expert en politique internationale. Son plus grave défaut cependant est un complexe d’infériorité par rapport aux membres de l’élite américaine (la fameuse Ivy league), formée à Harvard alors que lui n’a eu qu’un diplôme en droit d’une faculté californienne. Kennedy, pour lui - bien que les deux hommes partagent bien des valeurs et aient beaucoup sympathisé -, est le pur représentant de cette élite qui lui vole sa victoire en 1960. Nixon aura toute sa vie un complexe par rapport à Kennedy, même après son élection. Il n’empêche que cet anticommuniste forcené est le même qui fit le voyage en Chine Maoïste en 1971… ce n’est qu’un des nombreux paradoxes de Tricky Dick.


Diplomatie et Watergate.


Nixon pensait que la politique étrangère constituait le seul domaine où un président peut imprimer sa marque. Dès son élection, il hérite du dossier de la détente et surtout du Vietnam où Kennedy et Johnson (grand réformateur sur le plan intérieur, Lyndon Johnson fut par contre un mauvais diplomate) ont envoyé l’armée américaine, sans définir précisément les contours de cet engagement et surtout sa finalité avec en retour une très forte contestation interne. Nixon, conseillé par Kissinger, va alors appliquer la théorie du « linkage ». Là où les démocrates réagissaient face à chaque problème de manière séparée, eux deux vont définir une stratégie globale où tous les dossiers sont liés. Le conflit avec le nord-Vietnam est lié à la détente avec l’URSS ; pour amener l’URSS au compromis, les USA vont se rapprocher du rival chinois (autre soutien du nord-Vietnam) : les soviétiques vont alors prendre peur, pousser le nord-Vietnam à la paix et le conflit alors sera résolu. Mais pour arriver à la paix, tous les moyens sont bons : invasion du Cambodge et du Laos, bombardements massifs (à ce titre, les américains poursuivent une chimère depuis la seconde guerre mondiale, jamais la guerre aérienne n’a été déterminante pour gagner un conflit, à l’exception peut-être de la campagne de bombardement de la Serbie en 1999) : c’est la stratégie du fou, Nixon veut faire peur pour que personne ne doute de sa détermination. Face éclairée du bilan : reconnaissance de la Chine populaire (une véritable alliance stratégique s’établit entre les deux pays) et accords de paix à Paris sur le Vietnam en 1973. Face sombre : des centaines de milliers de morts dans le sud-est asiatique. Sans parler du Chili ou, en novembre 1973, Pinochet renverse Allende et établit une des dictatures les plus répressives d’Amérique latine. Certains pourront aussi lui faire crédit d’avoir été un ami d’Israël alors  qu’en privé, il  ne se privait pas de plaisanteries antisémites contre nombre de démocrates juifs… lui et Kissinger organisèrent le pont aérien à destination de Tsahal lors de la guerre de Kippour mais empêchèrent l’état hébreu de trop pousser son avantage sur le terrain. Kissinger négocia ensuite un cessez le feu qui n’était rien d’autre qu’un statu quo ante et commença à multiplier les navettes qui jetèrent les bases de la paix de Camp David entre égyptiens et israéliens.


Pour lui, tous les moyens sont bons pour arriver à ses objectifs, ce qui explique en partie le Watergate. Au départ, poser des micros chez un adversaire est « bénin ». Kennedy et Johnson avaient également leurs travers de ce point de vue. Mais lorsque le scandale éclate, Nixon s’entête, ment aux américains alors qu’au départ il s‘agit d’une initiative de ses collaborateurs et de pratiques typiques de la CIA et du FBI. Le Watergate et la démission de Nixon furent à l’époque considérés comme un signe de la bonne santé de la démocratie américaine, à bon droit. On peut aussi le voir comme l’Acmé des dysfonctionnements de la présidence Nixon, méfiante à l’égard d’un appareil d’état plein de membres de cette élite dont, encore une fois, le Président se méfiait. C’est sa paranoïa qui a perdu Richard Nixon.


Un homme de gauche ?


Un peu de provocation ne fait jamais de mal et fait écho aussi à des controverses de l’historiographie américaine. Nixon arrive au pouvoir après la grande société de Johnson et l’adoption de grands programmes sociaux comme Medicare et Medicaid. Nixon ne les supprime pas, il les confirme. Mieux, il met en place l’Affirmative action en faveur des noirs - alors qu’il partage pas mal de préjugés racistes à leur encontre -, un système de quotas à l’embauche et à l’entrée à l’université, contraire au système de valeurs français mais qui  a un mérite : il améliore l’employabilité des afro-américains et favorise leur intégration dans les classes moyennes américaines. Si beaucoup des projets imaginés par Daniel Patrick Moynihan, son conseiller social issu des rangs démocrates, échouent, reste l’image d’un politicien centriste, de gauche même lorsqu’on compare son action au virage ultra libéral suivi par Reagan et parachevé par Clinton. Nixon adhérait en fait au consensus keynésien de l’après-guerre. Et c’est ainsi qu’il faut comprendre son soutien à une réforme de la santé, offrant une assurance à tous –Nixon avait gardé en mémoire la maladie d’un de ses frères dont les soins avaient endetté sa famille- qui, répétons-le, était socialement bien plus à gauche que celle d’Obama. Et voici donc cet homme, cible de toutes les critiques de la gauche démocrate, de la New Left des années 70 qui, finalement, possédait une vraie fibre sociale. Nixon était né pour le paradoxe !


Antoine Coppolani nous propose un voyage dans les tréfonds de la personnalité et du parcours de Nixon mais aussi au cœur de cette Amérique qu’à bien des égards il incarnait. Malgré ici et là des répétitions, cette biographie de qualité fera date. Et pour finir, l’historien nous démontre une chose : un homme qui peut avoir un comportement de « salaud » peut être aussi un grand Président.


Sylvain Bonnet


Antoine Coppolani, Nixon, Fayard, octobre 2013, 1184 pages, 32 €

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1 commentaire

Curieux personnage, en effet, ce Nixon (drôle de patronyme), atypique , mais assez emblématique en fait des gens qui arrivent au pouvoir lors des crises mondiales graves :

  •  soit  on a des dictateurs sanglants (Hitler, Lenine/Staline, Pol-pot  Mao, etc...),
  • soit  des gens ambivalents, politiciens ambitieux, opportunistes, d'origine peu gênés par la morale, et chez lesquels le pouvoir , comme l'alcool, booste les mauvais côtés (genre  Nixon,  Bush fils, Eltsine, Poutine, Arafat , Berlusconi, Chavez etc...).  Dans cette catégorie, on a eu Robespierre, Bonaparte,  Pétain, Mitterrand, certains ajouteront Sarko....
 Mais, exception culturelle oblige, la France a su déroger à la règle, une première fois en 58 en allant chercher un grand homme (DE GAULLE ), et une autre fois en 2012 en allant chercher un homme très normal, fort heureusement équipé d'un casque.