Olivier Le Cour Grandmaison: Cancer du Tropique...

Le professeur de philosophie politique Olivier Le Cour Grandmaison poursuit son implacable exploration du passé colonial français. Certes le sujet avait déjà été abordé dans le retentissant Coloniser. Exterminer, où les ressorts idéologiques et politiques de l’occupation de l’Algérie avaient été savamment décortiqués. Cette fois, c’est sur le terrain de la justification scientifique du projet colonial que se place l’historien, qui se propose de cartographier L’Empire des hygiénistes.


Vaste territoire, qui va chercher au Maghreb, en Asie ou dans les Dom-Tom son champ d’investigation et d’expérimentation. Vaste surtout pour être à la fois mental et intellectuel, et tentant d’atteindre, en matière de prophylaxie comme de soin, l’horizon d’un idéal. C’est le monde entier, avec ses terres vierges et ses populations primitives, qui devient un laboratoire à dimension continentale, réservé à l’usage de médecins, d’urbanistes, de sérologues et d’anthropologues… Autant d’experts qui s’avèrent au fond animés par une même obsession (l’occidentalisation du globe) et une même quête (la pureté du corps, puis au-delà de la race).


L’essai de Grandmaison est un monument d’érudition, tant il couvre de nombreux champs du savoir et de domaines du quotidien ; tous ceux en somme où le terme « hygiénisme » est susceptible d’être appliqué. Ainsi, si bien sûr la biologie est au cœur même du propos, avec ce qu’elle induit d’efforts pour préserver l’organisme des pathologies, de lutte pour la survie en milieu naturel hostile, de remédiations aux tares soi-disant innées, de combats contre les menaces épidémiques – l’environnement urbanistique fait lui aussi l’objet d’un traitement passionnant.


Grandmaison ne s’est pas contenté de lister les maux auxquels étaient confrontés les coloniaux (et dont les moindres ne sont pas les maladies vénériennes ou l’usage de substances que la morale réprouve) ainsi que les cures qui leur furent trouvées. Il étudie aussi la conception de l’architecture coloniale, depuis le tracé des rues jusqu’à la localisation des lieux d’aisance. Il prolonge le regard thérapeutique de ses implications sociales (le chapitre sur l’organisation du travail est sur ce point particulièrement éclairant). Enfin, il décrypte les ressorts d’un discours circulant entre les tenants d’une élite à blouse et casque blancs, qui, sous couleur de bienveillance guérisseuse, de probité républicaine, d’apport des Lumières et des bienfaits de la Civilisation à de malheureuses populations enténébrées, ne tendaient à justifier qu’un seul projet : l’exploitation de l’homme par l’homme.


Un maître ouvrage, sans conteste, et qui impose Olivier Le Cour Grandmaison comme l’un des penseurs contemporains les plus avisés du fait colonial.


Frédéric Saenen


Olivier Le Cour Grandmaison, L’Empire des hygiénistes. Vivre aux colonies, Fayard, novembre 2014, 360 pp., 23 €.

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