Camille Claudel, l’amour figé

« C’est l’anniversaire de mon enlèvement à Ville-Evrard, cela fait 17 ans que Rodin et les marchands d’objet d’art m’ont envoyé faire pénitence dans les asiles d’aliénés ». Le drame contenu en quelques mots révélateurs. Ce seront en réalité près de trente années d’enfermement que subit Camille Claudel. On connaît bien maintenant les conditions de sa vie à l’asile de Montdevergues, la faim quotidienne, les bruits des autres qui l’obsèdent, l’irrémédiable déclin physique, les délires, le sentiment horrible de persécution, la mort, la fosse commune. Rien n’a été épargné à cette femme seulement faite pour épouser l’art et vivre l’amour. « Ma pauvre sœur Camille, édentée, délabrée, l’air d’une très vieille femme sous ses cheveux gris. Elle se jette sur ma poitrine en sanglotant... » note Paul, son frère, qui viendra si peu souvent la voir et n’assistera pas aux funérailles ! 
L’autre homme, l’absent qui reste présent, l’ombre immense qui plane toujours autour d’elle, Rodin bien sûr. Dans une lettre le sculpteur lui avait écrit : « Ah divine beauté, fleur qui parle et qui aime, fleur intelligente, ma chérie. Ma très bonne, à deux genoux, devant ton beau corps que j’étreins ».
Comment oublier ces mots qui lui insufflent la puissance créatrice et dans le même temps où l’artiste s’effacera, la destruction des œuvres, comme la métaphore de son écrasement personnel. Camille, poussée par la force de son amour, concevant de véritables chefs d’œuvres, avancera à pas rapides vers l’anéantissement. Tout un talent arraché de ses mains et de son cœur.

Miroir de sa vie, de ses espoirs, de ses attentes, de ses joies vite emportées par le sentiment de l’abandon, ses sculptures permettent en quelque sorte de suivre de près le cours de son existence, du buste de Bismarck à la Niobide blessée en passant par ces pièces extraordinaires que sont La Vague (onyx et bronze sur socle de marbre de 1897), L’Implorante, Vertumne et Pomone, La Valse, L’Age mûr. Autant de mouvements qui sont ceux de la passion, du désir, de l’élan qui se brise.

 

Des biographies, des ouvrages divers, des expositions, un musée, le cinéma, l’histoire de Camille Claudel (1864-1943) n’a cessé et ne cesse d’émouvoir, d’intriguer, d’intéresser. Colette Fellous, qui a écrit de nombreux romans, entre à nouveau dans cette détresse et l’analyse avec ce qui convient le mieux, une sensibilité de femme face à celle d’une autre femme. C’est une manière de dialogue qui s’instaure au fil des pages. L’auteur l’annonce au début, elle « a envie de la suivre, de marcher près d’elle...de regarder ses mains, ses robes…ses yeux surtout, si bleus, si tristes, si beaux ».
Discrètement mais avec assiduité, Colette Fellous scrute la croissance de la jeune fille de dix-sept ans qui arrive à Paris et suit la relation qui va naître avec Auguste Rodin. Jusqu’au bout. Elle écrit avec des mots simples et affectueux qui font que Camille travaille, sculpte, modèle l’argile, s’interroge, souffre, espère, désespère devant le lecteur. Les photos que l’on ne voit pas parlent sous l’examen attentif de l’auteur.
De même les archives, comme par exemple ses contacts avec le docteur Truelle. Colette Fellous a écrit ce livre « pour Camille », on le ressent vraiment. En écoutant le concerto en sol de Ravel, qui à la fin de sa vie, resta lui aussi, plusieurs années, désemparé.     

Dominique Vergnon

Colette Fellous, Camille Claudel, 21,5 x 13,5 cm, Fayard (collection des vies), février 2018, 240 pages, 18 euros.

 

 

 

 

 

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