Pessoa et le jeune captif

Né à Lisbonne en 1888, Fernando Pessoa passe sa jeunesse en Afrique du sud puis retourne dans sa ville natale en 1905 où il demeurera jusqu’à sa mort . Il participe à de nombreux mouvements littéraires portugais, et publie (même si la grande partie de son  œuvre est posthume) des textes signés par divers hétéronymes de son invention, notamment Alvaro de Campos.

Parmi ses hétéronymes celui-ci cristallise le fils emporté, cosmopolite, plus rêveur que véritablement voyageur. Il est le chantre de la modernité, des machines et de la grande matrice du XXe siècle. Bref il est futuriste à sa manière mais aussi le désabusé dont les rêves ont du mal à joindre la réalité.

Ce texte le prouve. Et l'auteur de préciser :Je vais chercher dans l'opium qui console / Un Orient à l'orient de l'Orient. Mais ce livre est aussi l'acte de naissance de ce clone. Un acte falsifié : le texte est antidaté par Pessoa pour en faire officiellement la première apparition d’Alvaro de Campos sur la scène littéraire. Mais cette naissance tient pas son contenu tout un avis de décès anthume.

Alvaro de Campos devient ici le jeune homme captif d’un navire de croisière au large du Canal de Suez en mars 1914. Il reste avant tout prisonnier le lui-même. Et l'opium reste inutile pour soigner son mal intérieur. Tout demeure dans sa vie sans attrait si bien que les voyages exotiques en Inde n’y font rien. Alvaro est rongé par sa faiblesse, sa vacuité, son impuissance créatrice.

Dans une divagation sous l'effet des psychotropes il est même incapable de se suicider.  Il ne peut qu'ouvrir la plaie de son vide. Et là tout est  écrit de manière à provoquer le vertige à partir de la claustration du bourreau de lui-même en ses abîmes.


Jean-Paul Gavard-Perret

Fernando Pessoa, Opium à bord, poème d'Alvaro de Campos,  bilingue, préface d'Armand Guibert, postface de Pierre Hourcade, nouvelle traduction du portugais par Jean-Louis Giovannoni, Isabelle Hourcade, Rémy Hourcade et Fabienne Vallin, Unes, Nice, octobre 2021, 48 p.-, 14 €

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