Bavarderies de Pierre Pelot - Marsupifl’ami

Ça fuite de partout. Et ça fait un moment déjà. Des signes avant-coureurs, ici et là dans les journaux, sur le net en bordure de sites au fond desquels on tombe. Quelquefois, ce n’est même pas sournois : c’est du carré : des pleines pages, avec, en preview, des interviews du responsable de la chose. Des avant-pubs en cascades. À l’heure où j’écris ces lignes, nous en sommes là. Et comme cette heure est un 1er avril, dans quatre jours : l’événement. Titré : Sur la piste du marsupilami. Autant dire que la véritable et massive campagne de presse et de promo n’est pas encore commencée vraiment et que nous allons en avoir de quoi nous goinfrer, si les autres animaux de la campagne (électorale) nous en laissent la place et le loisir. Un des résumés dudit film y va de ce propos, que je cite pratiquement: « Dan Geraldo, reporter en quête de scoop, arrive en Palombie, sans se douter qu’il va faire la plus incroyable des découvertes… Avec Pablito, guide local ultra efficace, ils vont aller de surprise en surprise au cours d’une aventure trépidante et surtout révéler une nouvelle extraordinaire : le Marsupilami, animal mythique et facétieux, existe vraiment !!! »

 

Et voilà. Réalisation Alain Chabat. Avec dans peau des personnages Alain Chabat et Jamel Debbouze (que nous supposons être le guide plein de ressources). Ça se voit à partir de six ans. Excitant, certes. Sauf que… on peut aussi craindre le pire. Par pur réflexe protectionniste. Parce que… parce que, sur les affiches, sur les illustrations diverses lancées dans l’atmosphère pour vendre cette aventure, le marsupilami apparaît. Il est représenté. Et alors, qu’est-ce à dire ? Il est moche. Chabat est reconnaissable, Debbouze aussi, mais le marsupilami, non. Le marsupilami n’est pas lui-même. Sans son caractéristique bon gros pif sympathique au contenu possiblement chargé de trésors que nous lui connaissons. Alors je ne sais pas. Pourquoi cette représentation infidèle et mécréante ? Éloignée, oui, éloignée, j’en suis désolé, de celle qu’en fit Franquin ? Des histoires de droits ? Je ne sais pas, je m’interroge. Interdit de le représenter sous la plume et le pinceau de Franquin ? Dites-moi tout. Ou bien Franquin en avait fait lui-même une interprétation ? Certes, le petit animal (comme disait le comte de Champignac) possède les oreilles, la queue, le pelage jaune à taches noires qui conviennent… Mais le pif ? Même dans la bande-annonce, pas trace. Alors, je me demande si Alain Chabat, pour qui j’ai un énorme respect, et une admiration sans presque de bornes, n’est pas allé un peu vite dans la prépa de son sujet. Je me demande s’il a eu connaissance du document ci-après – j’ai peur que non. En même temps, je ne lui en tiendrai pas rigueur. C’est un document d’une rare valeur et d’une unicité absolue. Je n’en connais pas de copie. Et j’en suis le seul détenteur. Comme Monsieur Alain Chabat ne m’a pas contacté pour m’en demander consultation, j’en déduis qu’il n’en a pas connu, et ne connaît toujours pas, l’existence. C’est volontiers que je le lui soumets, regrettant de n’avoir pas pu le faire plus tôt, ce qui lui aurait évité, à vue de nez, cette erreur grossière marsupio-nasale.



Cher Alain, voici, donc, copie dudit docu :

« L’équipe de recherches archéologiques de l’American Paleolitic Research Institut, sous la direction du Pr. Anton Fishburg, a retrouvé dans une pyramide de la jungle palombienne, plus précisément sur le site de Huchacan où des fouilles sont menées depuis trois ans, une série de rouleaux mortuaires, dont un particulièrement bien conservé, qui tendraient à prouver l’inhumation, auprès de momies humaines, d’animaux de compagnie. Ceci n’est pas extraordinaire en soi. Et ce n’est pas là que se situe la particularité très extraordinaire de l’événement.

Les chercheurs en travail sur cette mission de fouilles regroupent des équipes interaméricaines du plus haut niveau, telles l’Américan P.I. de Chicago, la América S-Amazonia do Brasil, sous la direction de l’American Paleolitic Research Institut, “inventeurs” (puisque c’est le nom donné aux découvreurs de vestiges) des pièces inestimables mises à jour, qui vont, si leur authenticité s’avère établie et confirmée par les analyses biochimiques en cours, tout simplement révolutionner l’Histoire des croyances et religions pré-palombiennes sur une période qui se poursuit bien longtemps après l’invasion espagnole du continent sud-américain. “Si les analyses en cours établissent leur authenticité”, car d’ores et déjà une polémique contesterait ladite authenticité, accusant le Pr. Anton Fishburg, ou des membres de son équipe de chercheurs, d’avoir créé ces pièces archéologiques révolutionnaires. Mais le Professeur de réputation mondiale qui ne peut être raisonnablement soupçonné de tricherie est totalement solidaire des membres de son staff.

De quoi s’agit-il exactement ? De rouleaux mortuaires trouvés dans des sépultures découvertes au second “sous-sol” de la pyramide majeure des trois qui forment le site de Huchacan. Rouleaux de peau d’agoutis arboricoles parfaitement conservés par le procédé de tannage employé et leur placement dans des tubes parfaitement hermétiques de docouma (ou bois de fer noir), sur lesquels apparaissent des traces de signes hiéroglyphiques ou supposés tels, ainsi que des “empreintes”, des “figures”. Les peaux seraient des sortes de suaires, ayant contenu des corps momentanément décédés animaux.

De ces animaux mythiques, plusieurs légendes (mais nous pouvons aussi bien parler de traditions et de documents historiques) post-huchacanniennes signalent l’existence. Ces animaux se seraient révélés capables de résurrections successives, après des mises à mort rituelles accompagnant le décès de leurs compagnons humains dont ils auraient été les représentants totémiques dans l’autre monde. Les suaires auraient servi à envelopper les corps de ces animaux jusqu’à leur résurrection. Et ce serait donc un de ces documents quasi photographiques représentant l’empreinte d’un compagnon animal d’une des momies mises à jour qui ferait l’objet de cette étude révolutionnaire – car si momie il y avait dans la sépulture, nulle trace de celle de l’animal, ni même de ses restes osseux, juste les rouleaux de suaires, ce qui tendrait à ajouter une preuve à la résurrection. L’authentification du document prouverait donc irréfutablement l’existence de ce mythique petit animal que nous appelons le marsupilami – ce qui amène une autre question, aucun marsupial de ce type ne se trouvant sur le continent américain. »



Bien. Ça, c’est fait.

Dommage que ce film, qui j’en suis certain sera par ailleurs un succès, qui plus est, j’en suis certain aussi, mérité, soit passé à côté des richesses qu’eût pu fournir un tel document. Notamment pour ce qui est du gros tarin du pépère, nettement visible et identifiable sur ce suaire. Franquin avait raison.

 

Cela dit, profitons de l’occasion qui nous est donnée, que nous prenons en tout cas, pour réaffirmer ici avec force que Franquin avait non seulement toujours raison mais que c’était un homme à mourir de talent. Ce qu’il n’a pas manqué de faire au final, et c’est peut-être la seule critique qu’on puisse lui adresser, à lui et à son travail. Franquin était un génie. La bande dessinée est un art qui en abrite quelques-uns. Lesquels on pour fâcheuse tendance à s’en aller trop vite et trop tôt, s’en aller tout court, à l’exemple mauvais de Moebius/Jean Giraud. Franquin avait dessiné entre autres chefs-d’œuvre une histoire intitulée Bravo les Brothers, d’un dessin à son plus haut niveau, d’une qualité narrative et d’une originalité de scénar à tomber. Tout simplement. Ce genre d’histoire que vous relisez trois millions de fois et qui vous entraîne et que vous découvrez à chaque fois avec le même bonheur, vraiment, dont vous détruisez l’album à force d’en tourner les pages au fil du temps. Le genre d’histoire dans laquelle vous entrez corps et âme et les yeux écarquillés et qui vous fait devenir, aussi sec, heureux, quel que soit l’état dans lequel vous y avez mis le pied. Bravo les Brothers est un chef-d’œuvre. Il est réédité par Dupuis, dans un double album qui offre, en plus, l’original en fac-similé encré qui est un autre chef-d’œuvre, le chef-d’œuvre préparatoire du chef-d’œuvre en couleurs. Chez ce même éditeur Dupuis, en collection « Aire Libre », un autre chef-d’œuvre, pourquoi s’arrêter en si bon chemin, d’un autre grand dessinateur, lui aussi embarqué vers d’autres rives : Will. Will, le dessinateur de Tif et Tondu, oui madame. Mais, madame, le dessinateur aussi de cette Trilogie avec Dames, magnifique d’érotisme et d’élégance, au fil de ces trois histoires qui permettent, au moyen de la bande dessinée, l’expression d’un sublime peintre et dessinateur.

Quant au pif du marsu…

 

Pierre Pelot

1 commentaire

PCL

Pour ma part, après avoir vu le film, je ne suis pas dérangé dans la représentation de la bête. Bien au contraire, je la trouve magnifique !

Sous le crayon de Franquin, le Marsupilami n'avait rien à envoyé à Cyrano, comme nous pouvons le voir dans notre belle image, mais je pense que les nez doivent/peuvent être "réduits" à une taille plus humaine au cinéma. Regardez d'ailleurs notre Cyrano : les dessins le représentant l'affuble d'une péninsule longue de plusieurs kilomètres. Et pourtant, à l'écran, il n'a qu'un nez "un peu plus grand" que la moyenne...
Nos personnages d'Astérix, que Goscinny et Uderzo se faisaient un malin plaisir de représenter avec de gros pifs se retrouvent comme vous et moi (je le reconnais, j'ai un gros nez, mais il ne me fait pas choir en avant...), quelques soient les versions !

Donc point de gros nez à notre adorable bestiole tacheté ? Point d'offense ! Une simple adaptation... Peut être même est-ce plus fidèle, d'ailleurs, de diminuer le pif.

Le reste du film est, sinon, très bien. Sans bouleverser la liste des plus grandes comédies du 7ème art, il rend tout à fait hommage - de mon point de vu - à ce petit héros sympathique...