Moments donnés - Et l’homme, alors, c’est qui, au fait ?

Issu de formes archaïques de vie surgies sans autre apparente raison que celles dictées par la logique étourdie dont la chimie a fait sa spécialité, en des temps qui ne nous rajeunissent pas, l’être humain, avatar sophistiqué de toute une lignée de Primates, partage avec le faucheux comme avec la banane tellement de liens de parenté que l’on ne saurait s’étonner outre mesure de sa propension à adorer ce que nous avons coutume d’appeler « la nature ».

 

Ainsi donc, cousin germain de l’égrillard Bonobo et du facétieux Chimpanzé, notre homme, l’Homme, est-il également, celui, issu de germains, du Gorille, celui plus lointain de la girafe et celui, très lointain, du trèfle à quatre feuilles.

 

Que ce cousinage ait pu lui porter chance, en termes de réussite sociale, c’est indubitable. En termes de fidélité écologique et environnementale, rien n’est en revanche moins sûr. L’on s’avancerait même assez volontiers jusqu’à prétendre le contraire ; et les thuriféraires du progrès, eux-mêmes, n’oseraient probablement s’inscrire en faux de notre triste constat. Triste, à vrai dire, du simple point de vue de la vie. Mais qu’est-ce que la vie, qui a tant de mal à s’accrocher à vous, aussi bien qu’au premier coquelicot venu (éphémère de première catégorie si on le compare aux éphémères de troisième catégorie que nous sommes, vous, moi, Mozart, Einstein et bien d’autres spécimens anthropo-narcissiques) ?


La vie est si peu de chose, dans le vaste ensemble dévitalisé de l’univers visible et connaissable, pour les observateurs généralement bien informés mais éminemment partiaux que nous sommes, qu’il paraîtra superflu d’y consacrer une trop longue séquence de ce temps qui, par-delà le fait qu’il nous est compté, pousse l’insolence jusqu’à ne disposer d’aucune existence avérée (et de ce fait durable).

 

Passe que, étant, nous soyons enclins à penser ; il n’en est pas moins vrai que, roseau pensant, nous n’en sommes pas moins roseaux. Or qu’est-ce qu’un roseau, si on le compare à Archimède, à Aristote, ou à Descartes lui-même ? Une flûte japonaise dite shakuhachi, un panier tressé, un élément de décor pour œuvre picturale de l’école impressionniste ; bref, quantité de choses dont l’intérêt général reste très subsidiaire, quoique très agréable à l’oreille ou à l’œil, surtout dans un de ces milieux marécageux où la poésie aime séjourner.

 

Donc, vous et moi, crapauds ou lézards de cent millième génération, nous pensons, en disciplinés roseaux soucieux de leur renommée et en dignes successeurs par héritage direct de l’homme de Combe Capelle, tout aussi sapiens-sapiens que celui de Lascaux, celui d’Altamira et celui de la grotte Chauvet. Nous pensons, qui n’en serait fort aise et ne nous inviterait à danser maintenant ? Cigale aussi bien que fourmi, sauf à les supposer ignorantes de tout principe hiérarchique ou affligeantes d’obtuse inconscience, ne sauraient éluder ce constat : nous écrasons l’une sans même la voir et chassons l’autre de son olivier préféré d’une simple chiquenaude. 

 

Cet insigne pouvoir nous grise si fort que nous en avons oublié à la fois l’existence, le sinistre privilège et l’intrinsèque et potentielle nuisance.

 

Pour trouver homme qui ait encore su cela, c'est-à-dire la fragilité de notre ascendant et l’acuité de la responsabilité qui nous incombe, du fait de notre supposée conscience, il faut remonter loin dans le temps. Très exactement, il nous faut regarder avec insistance quelques unes de ces soies peintes que les moines graphistes, poètes philosophes et calligraphes modérément coloristes, du bouddhisme t’chan léguèrent à notre méditative contemplation.

 

Chez eux, l’homme est à sa place : quelques points vaguement perceptibles sur le tracé sinueux d’un chemin qui, entre montagnes et torrents, longe une rivière, et conduit on ne sait trop où (car le but importe moins que le parcours).

 

L’homme n’a d’autre finalité que de disparaître à jamais, mais de tracer auparavant un chemin provisoire de son pas insistant.

 

Gil Jouanard

Aucun commentaire pour ce contenu.