Claude Habib et son goût de la vie commune
Le titre est joli et on a envie d'y croire, à la force de la vie commune....
Fort heureusement, l'auteure admet dès le départ qu'elle ne voit aucune raison de vivre à contrecoeur. Quand l'amour a rendu l'âme, pourquoi rester ? Quitter peut donner un merveilleux élan vers les autres et vers la vie.
Pourtant Claude Habib met un bémol à cet élan vers d'autres cieux plus réjouissants : l'ennui n'est pas une raison de rompre.
L'essayiste veut nous démontrer que l'ennui à deux n'est ni triste ni mauvais, mais une espèce d'indolence féconde, chose que la société combat à tout prix : il faut occuper son cœur, son esprit, son corps, même de choses vaines et inutiles mais surtout ne pas laisser le vide s'installer, ce vide qui nous semble sidéral parce qu'il nous laisse face à nous-même et que nous restons désemparés, désœuvrés, nous demandant comment tuer ce temps gris à côté d'un homme ou d'une femme à qui on n'a plus rien à dire, avec qui on n'a plus vraiment envie de faire des choses. Remplir son temps ou tuer le temps est l'alternative contemporaine de la vie commune amoureuse.
Mais cet essai est très curieux parce qu'il développe des arguments auxquels on peut facilement souscrire tout en étant très vite agacé par des formulations qui fleurent le retour aux valeurs du foyer... par exemple Claude Habib, parlant de l'autonomie affective et économique des femmes : [...Il en va de même de l'autonomie affective. Celle-ci ne vise qu'à la dissolution de la famille, puisqu'elle présente les liens comme superflus, voire nuisibles. Les liens familiaux dont la femme se charge l'entravent, ils menacent de l'étouffer. Vouloir être amante, être épouse, être mère, c'est faire fausse route. L'autonomie vaut mieux que de tels liens. Il faut désapprendre à vivre pour autrui, et apprendre enfin à s'occuper de soi, tel est le message. Il est sinistre. Il faut vraiment s'aveugler pour croire que le self help vaut mieux que l'amour des autres.]...
Cette vision de l'existence est trop manichéenne pour moi. Surtout quand je lis plus loin [...la formation de liens maternels ou conjugaux est un ajout au monde ; l'absence de liens, quand à elle, n'ajoute rien. C'est une piperie moderne de faire passer ce rien pour quelque chose...] ...or, je ne pense pas que la complexité de l'intime des hommes et des femmes se résume à ce supposé choix de liens affectifs...
Bien sûr on peut admettre que les injonctions médiatiques à s'affranchir de toute contrainte pour faire moderne est un leurre et discuter de l'intérêt à se recentrer sur le sens des choses, mais à mesure de ma lecture, j'ai l'impression que Claude Habib en profite pour faire passer des messages idéologiques qui dépassent le simple éloge de l'ennui amoureux, d'autant plus qu'il ne s'agit dans son livre que du rôle ou de la posture de la femme et jamais de l'homme et c'est bien dommage car l'essai est intelligemment construit.
Quant au passage sur les violences conjugales, il me parait pour le moins spécieux : ce n'est pas la domination masculine qui en serait à l'origine mais tout autant la déception...
Voilà ce que je reproche à cet essai conjugaliste, il ne tient pas sa promesse, au lieu justement d'explorer le passionnant jeu de la vie à deux, avec ses codes, ses connivences, ses plaisirs de partage de silences et autres trésors précieux (que Claude Habib ne fait qu'évoquer en fin d'ouvrage) il désigne avant tout à la femme.... sa place. Ce qui fait ma déception : j'espérais un essai réjouissant à rebrousse-poils alors qu' il me parait moralisateur et ne prend pas les chemins de traverse. J'aurais trouvé très moderne de ne pas opposer des stéréotypes, une vision classique à une vision dans l'air du temps, mais de réinventer un mode de fonctionnement amoureux en redonnant à l'ennui ses attraits : un espace de réflexion, de méditation, de contemplation et d'imaginaire partagé.
Anne Bert
Claude Habib, Le goût de la vie commune, Flammarion, mars 2014, 169 pages, 12 €
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