Slavoj Zizek, Métastases du jouir : quid du désir féminin ?

En plus du jargon, les tournures de certaines phrases sont tellement alambiquées qu'elles découragent l'effort intellectuel et c'est agaçant ; je sais bien qu'il n'y a rien de plus offensant pour des chercheurs et spécialistes en tout genre que de leur demander de vulgariser leur érudition mais c'est regrettable : pour cause d' absconse terminologie, la transmission des savoirs ne se fait pas. A croire que l'instruction des peuples désirant s'enrichir intellectuellement reste toujours un péril ...
Mais à part cette réserve- et l'on peut très bien passer ces chapitres et même quelques pages dans les suivants - les multiples analyses de la jouissance et de ses désirs rampants, envahissants comme des métastases sont captivantes.
A la lumière lacanienne, Slavoj Zizek revisite des films comme ceux de de David Lynch (Blue Velvet, Dune) Neil Jordan ou David Cronenberg pour nous expliquer les paradoxes du désir, de la sexualité féminine et de ses addictions.
Mais c'est le chapitre "L'amour courtois" qui m'a le plus intéressée. L'auteur fait un parallèle tout à fait convaincant entre l'amour courtois et les jeux SM contemporains maîtresse/homme soumis.
Alors qu'elle croit régner en actrice intraitable, la Dame tout autant que la Maîtresse sont chosifiées.
L'auteur assimile ces dames moyenâgeuses aux intraitables contemporaines qui se targuent de faire ployer leurs mignons à coup de fouet en pensant s'affranchir enfin du statut d'objet.
Zizeg se réfère à Lacan qui cite un poème sur une Dame qui exigeait de son servant qu'il lui léchât littéralement le cul , et quand on sait quelles étaient les conditions d'hygiène à l'époque du Moyen Age, l’exigeante ne témoignait -là d'aucune spiritualité avec le chevalier. La dominante représente en cela une altérité inhumaine, une espèce de machine absolue , une chose qui soumet son vassal à des épreuves arbitraires dépourvues de sens, d'autant plus que la Dame se refuse à lui accorder de consommer, tout comme le fera la véritable Maîtresse, elle devra rester l' inaccessible pour son soumis.
Autre point à méditer : selon l'auteur, le masochisme n'est pas le pendant du sadisme.
Il n'y a pas de couple sado-masochiste complémentaire. Le sadisme implique la négation directe, la destruction violente et la torture tandis que, dans le masochisme, la négation revêt la forme du désaveu - c'est à dire du semblant, d'un "comme si" qui suspend la réalité. (page 129) .
C''est le soumis qui initie le contrat en décidant ce qui lui est possible d'accepter dans sa mise en jeu, et c'est la sadique qui suivra ce contrat à la lettre, ce n'est pas elle qui écrit le scénario initial.
Et l'auteur de poursuivre sa démonstration en décortiquant le théâtre du jeu SM et sa fiction ; le masochisme est "non psychologique", rappelant que le masque révèle plus dans la fiction du jeu, qu'il ne cache.
Et c'est lorsque le dominé refuse de jouer le jeu de l'implorant que la maîtresse (ou le maître) s'hystérise et finit pas déraper, ne supportant pas de constater qu'il n'est qu'une chose (même sublime) aux yeux de son dominé, que celui-ci peut déconnecter, vide de substance.
Enfin, le chapitre "la chose catastrophique "se penche sur le fantasme et comment rien peut engendrer quelque chose...
Impossible donc de faire ici le tour de cet essai , il est dense, foisonnant, parfois compliqué et multidirectionnel, mais il ne manque pas d'intriguer et de piquer la curiosité.
NB - cet ouvrage est un florilège de trois ouvrages de l'essayiste, parus précédemment.
Anne Bert
Slavoj Zizek - Métastases du jouir. Des femmes et de la causalité, traduit
par Daniel Bismuth. Collection Bibliothèque des savoirs - Éditions Flammarion, 2014, 336 pages, 24 euros
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