Historien allemand né en 1961, encore peu connu en France, Frank Bajohr dirige le centre des études sur l’Holocauste à l’institut d’Histoire contemporaine de Munich. Le public français a pu lire de ses œuvres Spoliations et restitutions des biens juifs en Europe (Éditions Autrement, 2007) et son édition critique du journal d’Alfred Rosenberg (Flammarion, 2015). Dans Korruption ! il se propose d’étudier le poids pris par la corruption et le népotisme dans le système nazi qui se met en place à partir de 1933. Le résultat, cher lecteur, est confondant.

La base du système nazi

La thèse de Frank Bajohr est simple : les nazis, qui s’érigeaient dans l’opposition comme les champions de la lutte anti-corruption, se révélèrent dans l’exercice du pouvoir comme les pires des tartuffes ! Bajohr étudie le cas des « anciens combattants » du parti, nazis de la première heure qu’administrations et entreprises privées ou publiques recrutent, de leur propre chef ou sous la contraite, afin de complaire au nouveau régime. Il passe ensuite aux Gauleiter qui, via un système de fondations, s’approprient des fonds immenses, en partie tiré de la spoliation des biens juifs, puis de l’exploitation des territoires conquis en 1939-42. À la suite de Ian Kershaw, Frank Bajohr identifie bien la tendance des nazis à démanteler l’État bureaucratique mis en place par les Hohenzollern et maintenu par la République de Weimar pour lui substituer un système féodal, lié au Führer comme unique dispensateur de richesses.

Une tendance de l’historiographie allemande

Le travail de Frank Bajohr finit par être assez proche par certaines conclusions de Comment Hitler a acheté les allemands de Götz Aly (Flammarion, 2005) : pour lui, le peuple supportait la dictature grâce à la politique de redistribution fiscale et sociale (financée par la spoliation des biens juifs et le pillage des pays conquis). On peut ajouter qu’il supporte de même la corruption systémique du régime tant que son niveau de vie reste le même, pendant que six millions de juifs européens sont massacrés… Voilà un ouvrage fascinant sur le nazisme qu’on ne peut que recommander.

Sylvain Bonnet

Frank Bajohr, Korruption ! au cœur du système nazi, traduit de l’allemand par Laurent Cantagrel, Flammarion « au cœur de l’histoire », février 2017, 352 pages, 24 €