Emmanuel Hocquard et Raquel : derniers feux de l'avant-garde

Est donc rassemblée la multitude des publications de Roger Laporte, Claude Royet-Journoud, Jean Daive, Franck Venaille, Hubert Lucot, Anne-Marie Albiach, Pascal Quignard, Alain Veinstein, Roger Giroux, etc... au moment où tout s'ouvrait sous le signe de la poésie objectiviste américaine et où demeure une radicalité possible à l'époque et qui serait aujourd'hui difficilement publiable.
Raquel et Hocquard s'engagèrent dans la publication de précieux petits livres qu'ils imprimaient et fabriquaient eux-mêmes et portaient parfois le nom de "chutes" (titre de leur collection de texte en 5 pages).
Une telle action éditoriale devient non seulement un corpus mais une sorte de mouvement d'avant-garde. Selon les deux responsables chaque livre devenait le lieu où un texte trouve son espace, son mouvement, sa respiration, son rythme, sa tension, et ce jusque dans cette version compilée. À la présentation originale et son espace – il n'existait parfois que quelques mots épars dans la page – succède un condensé qui en réunissent plusieurs.
La lecture devient forcément différente. Et le livre prend un aspect plus documentaire et informatif puisque se perd la puissance déterminée première. Elle se trouve soustraite. Des Mots d’abîme, sans espace dans l’immense et insensible espace dont parlait Edmond Jabès à propos de ces livres, ne reste qu'un reflet là où l'invisible devenait visible dans cette fabrique de formes nouvelles.

Et ce au sein de sons étouffés dans la page, comme l'expression d'un neutre mais selon divers types de tensions. L'avant-garde moribonde inscrivait là ses derniers rehauts selon un engagement qui ne se réduit pas à des slogans idéologiques mais où l’apparence de refus du monde se traduisait par une forme de radicalisme que certains prirent pour de l'opacité.
Au fil du temps elle s'est éclairée. Par exemple Roger Laporte – dans ses sous-textes sur l'impossibilité décrire – est devenu plus compréhensible. Existe là un beau symptôme d'une époque révolue mais bien plus. Certes des tics du temps sont perceptible mais demeurent avant tout des chants étranges – parfois arides, parfois plein d'humour – où il s'agissait de plonger dans l'inconnu pour trouver du nouveau (Baudelaire).
Jean-Paul Gavard-Perret
Emmanuel Hocquard et Raquel, Orange Export Ltd. (1969-1986), Flammarion, Poésie/Flammarion, Flammarion, 2020, 456 p.-, 26 €
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