Les obsessions de Sam Szafran exposées à l’Orangerie

J.K. Rowling s’est-elle inspirée des œuvres de Sam Szafran (1934-2019) pour décrire les escaliers monumentaux de la bibliothèque de Poudlard ? On peut légitimement se poser la question. Il n’y a, d’ailleurs, pas que cela qui peut se joindre à l’univers d’Harry Potter. Il faut dire que la vie de Szafran légitimise une dérive onirique. Pour oublier l’horreur rien ne vaut la création d’un autre monde. Frappé par la persécution dû à ses origines juives polonaises, le jeune Sam vécut l’effondrement de son univers. Pour tenter de s’accrocher à une sorte de réalité augmentée (Meta n’existait pas à l’époque), il pratiqua dessin et peinture. Totalement autodidacte, curieux de tout, il s’enferma dans un monde bien à lui… Ainsi il délaissa la mode de la peinture abstraite et, quoi qu’il – lui – en coûte, s’acharna dans le trait fuguratif. Avant-gardiste sans le vouloir. Peintre maudit et/ou rejeté, il persista. Jusqu’à oser le pastel et l’aquarelle. Pied de nez au marché. Mais l’artiste a toujours un temps décalé.

Trois ans après sa mort, voici un premier regard général sur l’œuvre désormais achevé. Focus sur ses escaliers en colimaçon métamorphosés en labyrinthes, sur ses espaces envahis par la végétation, ses jeux de perspective… une technique savante au profit d’une ressemblance de détail.
Sam Szafran aura traversé la seconde moitié du XXe siècle en cultivant l’insularité, seule manière de trouver un refuge. Le traumatisme vécu se lit dès ses premiers travaux : sous la surface picturale, l’épaisseur de la matière enferme les strates du passé, comme le montrent de façon saisissante les premiers collages et peintures dans l’esprit de la "seconde école de Paris". Les œuvres de Szafran ne laissent que peu de place au hasard. Le rendu visuel est appréhendé avec minutie. Ce sera tout le défi de cette exposition : offrir au regardeur la possibilité de contempler et de comprendre l’œuvre.

La sélection de près de 70 tableaux offre une coupe transversale qui, conformément à l’approche de l’artiste, est rassemblée par séries plutôt que chronologiquement. Voir Szafran nous montre comment le regard pense, nous confiait en 1987 James Lord, quand il voulait décrire les étranges mondes imaginaires des ateliers, des escaliers et des plantes qui sont au cœur de cet univers pictural…
Une visite au musée de l’Orangerie s’impose. Vous avez jusqu’au 16 janvier 2023. Et surtout ce très beau catalogue. Pièce indispensable de l’exposition, articulé autour d’essais précis et facilement abordables, ponctué de splendides reproductions couleur. Un ouvrage de qualité qui pourra bientôt se retrouver au pied d’un certain sapin…

Annabelle Hautecontre

Julia Drost (sous la direction de), Sam Szafran – Obsessions d’un peintre, 285 x 215mm, Musée de l’Orangerie/Flammarion, octobre 2022, 190 p.-, 39€

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