"Seigneur de lumière", et la lumière fut!

« Ses disciples l’appelaient Mahasamatman et disaient qu’il était un Dieu. Il préférait cependant supprimer de son nom Maha- et -atman et se faire appeler Sam. Il ne prétendit jamais être un Dieu. Comme jamais il prétendit ne pas en être un. Les circonstances étant ce qu’elles étaient, admettre l’un ou l’autre n’eût été d’aucun profit. A la différence du silence.

Il était donc entouré de mystère.

C’était la saison des pluies… »

 

Un auteur à redécouvrir

 

Roger Zelazny (1937-1995) fut un des grands écrivains de science-fiction des années 60 et 70. Principalement connu en France pour son cycle des princes d’Ambre (mention spéciale aux couvertures magnifiques des volumes du cycle lors de leur parution chez Présence du futur), il a par ailleurs remporté deux fois le prix Hugo pour Toi l’immortel et Seigneur de lumière. Ce dernier ouvrage porte la trace de son goût pour la réutilisation romanesque des mythologies (Royaumes d’ombre et de lumière et L’œil du chat sont dans cette même veine). Disons-le d’emblée, Roger Zelazny est à redécouvrir. Son travail sur les mythologies a influencé nombre d’auteurs postérieurs, à commencer par Neil Gaiman pour American Gods.

 

Nouveau monde, vieilles méthodes

Ce roman repose sur le postulat suivant : dans le futur, la Terre connaît de graves difficultés, et une partie de l'humanité a émigré vers une autre planète à bord d'un vaisseau spatial, "l'Etoile de l'Inde". Installés sur ce nouveau monde, les humains ont remporté les guerres menées pour détruire la quasi-totalité des formes de vies indigènes (d’autres ont été emprisonnées). Ces colons - aussi baptisés les « Premiers » car ils ont connu la Terre - ont alors peuplé la planète. La mise au point et l'utilisation d'une technologie rendant possible le transfert de la conscience dans un nouveau corps, artificiellement cultivé, leur a pratiquement conféré l’immortalité. Elle leur a aussi permis de développer des pouvoirs mutants tels que la télékinésie ou la manipulation de l’énergie. Enfin, les Premiers ont imposé au peuple une religion basée sur l’hindouisme. Elle repose sur l’accès à cette technologie de transfert des esprits - donnant ainsi à la réincarnation une base scientifique -, afin de mieux asseoir le pouvoir des Premiers devenus Brahma, Shiva, etc. Par contre, les « Dieux » découragent toute innovation technologique et surtout tout transfert de savoirs vers l’humanité « normale ».


Guerre des Dieux


L'un des Premiers, Sam, va se rebeller contre cette situation : il va déclencher contre ses anciens collègues devenus « Dieux » une révolution - inspirée du bouddhisme dont il se souvient - pour tenter de sortir le peuple de l’ignorance...

Seigneur de lumière est un roman dense et riche. Partant de thèmes classiques - colonisation d’une planète, création d’une nouvelle civilisation humaine - Roger Zelazny revisite l’histoire du bouddha, telle qu’elle est connue en Inde, et lui confère une nouvelle jeunesse. Il nous invite à une véritable guerre des Dieux, où chacun change de rôle au fur et à mesure du récit. Ainsi Sam devient-il Bouddha avant de se faire chef de guerre. Volontiers truculent, cynique et calculateur, il séduit cependant le lecteur face à ses collègues divins, enfants gâtés et limités par leur égoïsme. Seigneur de lumière est enfin représentatif de la science-fiction américaine des années soixante par la complexité de son intrigue et le regard pessimiste et désenchanté porté sur la nature humaine, loin de la foi affichée dans le progrès - qui n’excluait pas le doute - par la génération précédente de l’âge d’or. Le critique ne peut qu’encourager à la redécouverte de ce texte passionnant.

 

Sylvain Bonnet

 

Roger Zelazny, Seigneur de lumière, traduit de l’anglais (US) par Claude Saunier et révisée par Thomas Day, Gallimard Folio SF, Octobre 2012, 400 pages, 7,50 €

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