Et si Homère était un… concept ?

Homère, vous connaissez ?
La pique de l’éditeur n’ébranla pas le chercheur. Qui ne connaît pas Homère ? ou plutôt ses œuvres, l’Iliade et l’Odyssée dont l’époque de création remonte à huit siècles avant Jésus-Christ ; pour le reste c’est un vaste nuage de fumée, des fables, des légendes, des querelles d’universitaires. La personne d’Homère demeure une énigme.
Or l’éditeur n’en démord pas : ces poèmes, ils ont bien été écrits par quelqu’un, voire un collège d’écrivains, mais ils ne sont pas sortis du néant… Certes, admet l’universitaire, mais Homère ne dit jamais rien de lui dans ses poèmes, il évoque Achille, raconte Ulysse et tous les autres, demande de l’aide aux Muses, et c’est tout. C’est sans doute une poésie qui n’a pas eu besoin d’auteur. Mais Homère n’en est pas pour autant hors du réel. Alors ?

Une vie d’Homère, laisse échapper en dernier recours l’éditeur.
Quelque chose comme ça, hésite Pierre Judet de la Combe, un livre – ou un essai de livre – sur quelque chose de vivant qui est derrière ces mots. Mais ce ne sera pas une personne puisque personne n’en sait rien et que l’on n’a jamais trouvé la moindre trace de lui… C’est la fameuse question homérique insoluble, donc. Ce n’est pas non plus une structure sociale. Les Anciens le voient comme une nouveauté, une référence qui a changé le cours des choses. De nombreux poètes l’ont précédé (Linos, Olène, Amphion…) pour chanter la guerre de Troie mais ils n’ont rien gardé – ou presque.
C’est donc à partir de cette rupture que va se construire cette épopée hors champ en investiguant les recoins de la société pour tenter de comprendre où il opérait, où il était possible et attendu, et non l’inverse.

Entre la parabole et l’analogie, voici menée une enquête hors du commun, une approche nouvelle pour déconstruire le mythe et avancer quelques possibles suggestions sur Homère, essayer de repérer une énergie – qui pourrait venir de quelqu’un, mais de qui ? – que l’on partageait pour que ces poèmes se matérialisent et surtout qu’ils soient reconduits, portés par-delà les siècles des siècles.

Car c’est bien ici que prend naissance la Littérature, c’est ici, avec Homère que les Hommes ont soudain conscience de quelque chose de plus fort qu’eux – hors spiritualité et dogmatisme religieux – quelque chose que seuls les mots parviennent à décrire, à porter, à transmettre : cet événement, ce choc qui vibre, se répand par les ondes musicales que les mots créent, transcendant l’auditoire.
Est-ce qu’en disant "Homère" les Anciens ne voulaient-ils pas désigner cela, cette nouvelle prise de conscience d’un pouvoir nouveau, d’un goût prononcé pour l’épique et la beauté ?

Voyage au bord du gouffre, penché sur le vide qu’est l’absolu, ce livre-enquête se dévore à la vitesse d’un polar et remet en perspective les idées reçues et l'Histoire, et pas seulement de la littérature, mais aussi celle des Hommes.
Un grand livre qui rebat les cartes des certitudes et nous offre une nouvelle fenêtre pour admirer l’œuvre et se souvenir de nos origines. En se rappelant ce que disait Octavio Paz dans Le Singe Grammairien : "Le poète n'est pas celui qui nomme les choses mais celui qui dissout leurs noms, celui qui découvre que les choses n'ont pas de nom et que les noms que nous leur donnons ne sont pas les leurs. La critique du paradis s'appelle langage : abolition des noms propres ; la critique du langage s'appelle poésie : les noms s'amenuisent jusqu'à la transparence, l'évaporation."

 

François Xavier

 

Pierre Judet de la Combe, Homère, Folio, coll. "biographies", octobre 2017, 368 p. – 9,30€

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