Perek a-t-il réellement disparu ?

Initialement paru en 1997 chez La baleine, cet opus oulipien du Poulpe se lit avec la douce amertume nostalgique de ceux qui ont vécu dans ce vingtième siècle où l’on payait en francs, le téléphone portable venait de naître, et la vie était nettement moins hystérique qu’en 2022. D’où l’envie de se laisser glisser dans les frissons littéraires le temps d’une soirée, bien calé dans son fauteuil, un verre de scotch à portée de tir et Jefferson airplane en caisse de résonance.
Nonobstant ne pensez pas que le e soit ici banni, oulipien l’auteur, soit, mais poulpien le style d’abord ; donc la construction, le rythme, la musique… Une franchise est une franchise, on ne rigole pas avec l’essentiel. Pour le reste, c’est autre chose : voilà donc un jeune étudiant, Philippe Perek, qui disparaît et dont la version officielle de sa mort laisse dubitatif Gabriel, et c'est peu dire que ses – longs – bras lui en tombent. Ainsi ne restera-t-il pas assis sur son tabouret à reluire le zinc et se lancera-t-il dans une drôle de course poursuite dans laquelle viendront s’adjoindre les copains étudiants dudit disparu, un légiste un tantinet allumé – la préquelle de Balthazar ? – de gros méchants très riches et cette quête infinie de déjouer la mort comme certains fous furieux de la Silicon valley s’acharnent encore à lutter contre une équation sans inconnue.

Un roman noir se lit sans réfléchir, c’est là tout l’attrait de cette parenthèse littéraire qui n’en demande pas moins du talent et de la rigueur, sinon on sombre dans le navet. San Antonio était le maître, Hervé Le Tellier, Goncourt 2020, se hisse à quelques encablures du célèbre commissaire tout en gardant cette déconnexion chère au Poulpe, s’amusant des musiques du nom, osant inviter le fantôme de Perec pour mieux lui substituer l’image de la championne, Pérec... et tourbillonne la farce autour d’une enquête rondement menée. Avec une chute cynique, réaliste et terrifiante mais si adroitement glissée dans l’échancrure avant de fermer définitivement la porte, que l’on pourrait presque croire que cela fait partie du décor foutraque de ces aventures impossibles. Alors que, justement…

François Xavier

Hervé Le Tellier, La disparition de Perek, coll. Policier, Folio, mai 2022, 154 p.-, 6,50 €

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