Dessiner, créer, se confier au papier

Critique d’art érudit, "figure centrale de la Rome artistique du XVIIème siècle, conservateur des Antiquités pour la cour papale", Giovanni Pietro Bellori est, comme Vasari, l’auteur d’un ouvrage intitulé Le Vite de pittori, scultori ed architetti moderni, paru en 1672. Parmi ces peintres, sculpteurs et architectes modernes se trouve Barrocci.
Cet artiste à la fois sensible et décidé dont on compte près de 2000 dessins, "… disait que comme la mélodie des voix plaît à l’ouïe, la vue se recrée de la consonance des couleurs et de l’harmonie des lignes". Les dessins de Barrocci qui sont présentés à la Fondation Custodia répondent bien au constat que l’artiste faisait lui-même. Notamment cette Tête d’un homme barbu, inclinée vers la droite et étude de sa main, de 1590, exécutée à la pierre noire, sanguine et craie blanche sur papier. Pas une ligne qui ne concourt à donner au visage sa force et son intériorité, pas une nuance de tonalité qui ne serve à donner vie à la peau du vieil homme.
Ce dessin a été choisi avec 85 autres, parmi les quelques 600 que conserve l’institution pour constituer un parcours de bout en bout remarquable par la qualité des œuvres.

Un choix qui a dû être difficile dans ce trésor amassé en grande partie par Frits Lugt et sans cesse enrichi depuis. Il a l’avantage d’élargir la connaissance des peintres italiens durant plus de deux siècles. En effet, à côté des admirables dessins de Filippino Lippi, Guercino, Annibale Carracci, Guido Reni, Parmigiano, des noms qui a priori sont le gage d’une perfection sans égale, s’intercalent des œuvres non moins délicates, inventives, originales créées par des artistes qui méritent d’être découverts ou redécouverts et salués pour leur talent. Ainsi de Bartolomeo Schedoni et son étude d’Un enfant assis, qui capte en un pur et sobre agencement des contours et des modelés le caractère du modèle sans rien en omettre, appuyant dans un jeu contrasté d’ombres jusqu’à la grâce du geste de la main (1610, pierre noire et rehauts de craie blanche, mise au carreau à la pierre noire, sur papier bleu). Ainsi encore de Sigismondo Caula, né et mort à Modène, qui fait preuve de virtuosité et d’audace dans cette Figure masculine assise, drapée dans un manteau, traitant par opposition entre ombres et clartés et avec dextérité au lavis rouge et à la gouache blanche sur papier brun les mouvements du corps sous l’étoffe, ce qui rend vivante et vraie une posture au demeurant inhabituelle.

 

Autre peintre qui prend rang dans cette galerie d’excellence, Alessandro Maganza, qui était de Vicenza et appartenait à une famille d’artistes, auteur de plusieurs esquisses dont Trois études de saints dans les nuages, un style renvoyant au maniérisme vénitien du fait de la connaissance de son auteur des œuvres du Tintoret et de Véronèse. Dans une gradation des effets de lumière allant de la gauche vers la droite, c’est-à-dire du plus clair vers le plus sombre, ce qui contribue à une élévation des esprits sinon des âmes et à la dramatisation de la scène, les personnages sont étudiés dans des poses hiératiques déjà hors des pesanteurs terrestres.
En bas de la feuille, à gauche, d’une écriture déliée, en italien de l’époque, un court poème précise le pourquoi de cet accès à l’Empyrée des trois bienheureux :

Alors, par miracle et par plaisir
Je devins papillon et je me précipitai vers la haute et belle flamme
Pour laquelle le monde sera trop étroit

 

Quatre sections ordonnent cette exposition dont il faut saluer la sobre scénographie qui met en valeur le raffinement des tableaux. Comme le dit Ger Luijten, directeur de la Fondation Custodia, cela permet de "comprendre la manière dont les artistes faisaient progressivement évoluer leurs figures sur le papier, jusqu’à arrêter l’attitude qui leur semblait la plus juste, la plus à même d’incarner une action, un récit…", ce qui exige un grand "savoir des solutions graphiques" afin de voir "les meilleures interactions entre les sujets. Étape après étape, le regard suit cette "narration artistique", passe de l’étude de la figure à son assemblage puis à la composition d’ensemble, quand interviennent les éléments architecturaux et les angles de vue, et enfin à la place de l’éclairage venu des rehauts de blanc, des ombres, des réserves laissées à dessein.

 

Les œuvres de deux artistes néerlandais contemporains accompagnent les maîtres italiens.  Anna Metz, d’une part, dont les eaux fortes sont autant de propositions à la rêverie, d’invitations au voyage, de réflexions sur le passage du temps, d’entrées dans un champ d’intimités réduit en taille sans doute mais vaste par ses ouvertures sur l’extérieur. Chez elle, si la tradition apprise à l’Académie royale des beaux-arts de La Haye est sous-jacente, l’inspiration s’en dégage et trouve ses sources un peu partout, dans les arbres, ses enfants qui soufflent à sa créativité et de là à main un charmant abécédaire, ses voyages.
Une à une, ses eaux fortes enregistrent les variations des couleurs et des détails, autant de délicates ramifications, de labyrinthes de lignes et de constructions inlassables dont témoignent les épreuves. Admiratrice d’Hercule Seghers (1590-1638), le singulier graveur d’Harlem, Anna Metz se considère comme "une artisane", qui domine le hasard et en même temps lui donne sa latitude conceptrice.
"La technique m’oblige à rester calme… elle m’offre une certaine sérénité". Un mot qui gagne aussitôt l’esprit du spectateur, vite acquis par cette émotion qui est la véritable signature de ces œuvres.

Autres perspectives, autres méthodes. Avec Siemen Dijkstra, né en 1968, l’espace prend une dimension pour ainsi sans limites, à la mesure de ces paysages de la Drenthe, une province située au nord des Pays-Bas, rurale, couverte par endroits de landes, boisée à d’autres. Ou alors, à la mesure des étendues glacées du Spitzberg. Cet artiste si proche de la nature pratique un art difficile, rare, exigeant, la gravure à bois perdu. Une technique qu’il faut comprendre pour évaluer le labeur qu’il y a derrière ces vues panoramiques de forêts, de lacs aux berges piquetées de fleurs, et ces animaux saisis dans la rigidité de la mort. Siemen Dijkstra est un « conteur » qui livre aux autres un travail sous-tendu par son amour pour la nature, selon les mots de l’artiste.

 

Dominique Vergnon          

Studi & schizzi, dessiner la figure en Italie, 1450-1700  (collection en ligne)

Jan Piet Filedt Kok et Gijsbert van der Wal, Anna Metz. Eaux-fortes, 100 illustrations, 250 × 250, Fondation Custodia, février 2020, 163 p.-, 29 euros

Gijsbert van der Wal, Siemen Dijkstra. A  bois perdu, 150 illustrations, 270 × 245, Fondation Custodia, février 2020, 196 p.-, 29 euros.

www.fondationcustodia.fr

 

Aucun commentaire pour ce contenu.