Recherche pureté désespérément

Voilà quatre ans, il y eut quelque chose de nouveau dans le cadre rouge, cette collection du Seuil qui abrite la littérature française. Il y eut un souffle qui redessina le décor, un climat qui s’installa, propice à l’éclosion d’une signature, un esprit qui se développa sous la houlette de Frédéric Mora, nouveau responsable du pôle éditorial. Ce fringuant jeune homme fit ses classes aux côtés d’un maître es style, un poète, le clairvoyant Denis Roche qui fonda Fiction & Cie au sein de la maison de la rue Jacob… et laissa les commandes à Bernard Comment en 2005 pour s’en retourner à ses premières amours. Une école de la littérature que cette collection, un labora-toire à musique(s) littéraire(s). Rien donc d’étonnant à ce que Frédéric Mora qui, après avoir publié en 2004 un court roman remarqué – et remarquable – offre toute sa clairvoyance et son amour de la littérature au service de le remise en orbite de cette fameuse collection…

Voilà donc un pari audacieux qu’il était temps dresser face aux déferlantes de navets commerciaux et d’échecs industriels que les éditeurs osent publier dans une logique de groupe qui n’a plus rien à voir avec leur métier de base. Et si le Seuil n’est pas Hachette, ce n’est pas non plus Les Allusifs. Le groupe La Martinière impose des exigences comptables, mais le PDG du Seuil sait aussi de quoi il est ici question, on lui sait gré de laisser carte blanche à Frédéric Mora.

 

Ce qui nous donne l’immense plaisir de recouvrer la plume de François Emmanuel (Les murmurantes fort appréciées par Annabelle), qui reçu en 2010 le Grand Prix de littérature de la Société des Gens de Lettres, décerné pour l’ensemble de son œuvre à l’occasion de la publication de Jours de tremblement, au Seuil.

Poète et psychanalyste, quand il n’est pas romancier, François Emmanuel garde donc les yeux ouverts sur le monde, avec une prédisposition pour la marge, là où grouillent les impossibles, là où, dans l’interstice d’un mot, d’un regard, se joue la comédie d’une société de l’absurde. La marge est ici matérialisée par un homme perdu que l’administration caricature en trois lettres, SDF. Ce qui est faux puisqu’il dormait dans une filature abandonnée. Il n’était pas à la rue, mais il portait en lui une souffrance que même la pharmacopée ne parvenait pas à adoucir. Il sera retrouvé mort, sans doute victime d’une descente de fascistes à la petite semaine… Le narrateur est un réalisateur de documentaires pour la Télévision. La majuscule a son importance. Et c’est donc par le prisme de l’objectif qu’il tentera de réhabiliter Sam, dit Cheyenn.

Une approche millimétrée où chaque détail compte car c’est bien d’humanité qu’il est ici question. De la cruciale notion de la pureté bafouée par la couardise des Hommes, de l’abandon dans l’amour raillé par la violence relationnelle, du questionnement des mots dans la musique des sens. Pour qui n’est pas noyé dans le flot incessant et inutile de la société de consommation, voilà des questions qui peuvent rendre fou. Car de réponse satisfaisante, point et sans la bouée d’un espoir comment affronter la douleur ?

 

Toutes de nuances perlées, les scènes s’enchaînent dans une langue précise et hautement raffinée pour nous conduire vers la réhabilitation de Cheyenn, héros posthume d’un film dans le film. Le miroir sans tain des émotions vous envahira le temps d’une lecture, douce présence sur le chemin cabossé du quotidien. Une occasion à saisir…


François Xavier

 

François Emmanuel, Cheyenn, Seuil, août 2011, 124 p. – 14,00 €

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