Francis de Miomandre : La machine à écrire vivante

Francis de Miomandre (1880-1859), romancier – prix Goncourt 1908, poète, nouvelliste, essayiste, auteur dramatique, journaliste, traducteur... est une époque à lui seul. Le destin n’est pas tendre avec les fantaisistes, les êtres délicats qui ne se prennent pas au sérieux. Injustement oublié, il nous revient grâce à une biographie très documentée, qui rend justice à ce petit maître indispensable aux amateurs de littérature « non alignée ».

 

La comète symboliste achève sa trajectoire. Miomandre a tout pour plaire et déplaire : danseur mondain, il côtoie des princesses à la manière de Swann, les bouges et les dancings à la façon de Fargue et Larbaud. Mi-gigolo, mi-apache. En lui, rien ne pèse ou pose. Dandy, il est du Club des longues moustaches à Venise autour d’Henri de Régnier, Edmond Jaloux, Paul Morand, « princes de ligne désabusés ». Sa particule, empruntée comme une légion d’honneur, lui attache une cour de sang bleu : Jockey, Fouquet’s, Flore, salons sous la coupe de Montesquiou, Boni de Castellane et vieux prince de Sagan. Elégant, fantaisiste, volontiers charmeur, il écrit, aussi et surtout. En 1908, le prix Goncourt lui tombe dessus. Ecrit sur de l’eau, tout un programme d’existence qui préfigure l’oubli. Un écrivain est né. Gide ne s’y trompe pas : tour à tour réaliste, mais plein d’humour et d’ironie, amoureux déplorablement chimérique, à la fois tendre et narquois, il rit des déplaisances de la vie et ne prend au sérieux que sa sentimentalité discrètement triste. Ce qui vaut  pour le héros vaut pour son auteur. Voilà Miomandre parmi les gendelettres, lui s’en moque. Ce Charles Trénet de la littérature se met au travail, l’air de rien mais sérieusement. Trois ou quatre décennies prodigieuses lui permettent d’accoucher d’une centaine d’ouvrages délicats, drôles, hypersensibles, sérieux comme le plaisir. Son univers n’est qu’à lui.

 

Au travers de son monocle, Francis voit les désirs d’une enfance éternelle, Histoire de Pierre Pons, pantin de feutre, la délicatesse des animaux qu’il observe en ami : OtarieGazelle (mémoire d’une tortue)Portrait de Sada, petit Singe. Revenu du Soleil de Grasse, il adopte Séti : Mon caméléon, un des meilleurs titres de Miomandre, « commandé » par Colette. Valéry se presse chez son ami, constate que l’animal s’est foutu en académicien. A sa manière, il est un surréaliste cordial, complice de Breton, Eluard, Aragon, Soupault et consorts, qui apprécient sa lanterne à projeter les images. Unique, Miomandre s’appartient avant tout, il traverse les groupes : Bœuf sur le Toit, Ballets russes, bande à Cocteau. Personne ne déteint sur lui. Claudel l’apprécie. Même Léautaud-à-la-dent-dure voit en lui un être délicieux, fin, tendre, généreux, simple. Ses Rencontres dans la nuitPortesLe Veau d’or et la vache enragée témoignent de son désir d’enchanter le monde par des coups de pinceau en camaïeu de couleurs étonnantes : La nuit devenait de plus en plus dense et finissait par prendre la consistance onctueuse et douce de l’encre de Chine longuement remuée dans le godet par son bâton d’or.    

 

Miomandre, à l’étroit dans une seule vie, multiplie les activités littéraires. Curieux, et non « dispersé », il traduit les écrivains hispanisants : Enrique Rodriguez Larreta, Ventura Garcia Calderón, Asturias et beaucoup d’autres. On lui doit une belle version du Dom Quichotte de Cervantès – rééditée en « Bouquins » Laffont. Parmi tous, L’Elégance des temps endormis – quel titre ! – du Vicomte de Lascano-Tegui – disponible au Dilettante –,  qu’il préface : ce livre, qui n’est peut-être pas un chef d’œuvre [...] je me méfie de ce genre d’ouvrages [...] mais qui est certainement une des choses les plus originales que j’ai jamais lues. Voilà qui peut s’appliquer aux livres de Miomandre. Ils vous étourdissent, vous transforment. Ils époussètent le monde comme le font les poètes. Mieux que les œuvres tirées du marbre, ils ont le flou de l’inachevé, du « pris sur le vif ».

 

Aventurier littéraire, passeur généreux, critique attentif, Miomandre promène sa semelle légère dans un monde lourd et sale comme une corrida. Citons encore les Voyages d’un sédentaire, qui appelle une réédition : Il y a la cheminée, qui couve le mystère du feu et dont la tablette est la patrie de bibelots innombrables ; il y a les meubles, lourds vaisseaux pleins de cargaisons mystérieuses, il y a le divan... Signe distinctif, Miomandre déteste l’argent et la politique. Il n’a rien vu des deux guerres mondiales qui ont enterré le monde d’hier où il avait un strapontin. En 1900 déjà, tandis que la Seine noyait le zouave du pont de l’Alma, Miomandre traversait Paris, une tulipe rouge à la main. Adepte du bouddhisme – relire Samsara, ses superbes poèmes en prose –, il suggère : Je considère volontiers toutes les choses que je possède comme un dépôt fait entre mes mains par la Providence.

 

Il serait d’utilité publique de rééditer une foule de titres de ce maître que la providence, mauvaise fille, a provisoirement mis au rencart. Egrenons quelques merveilleux titres à chiner ici et là, en attendant leur retour définitif au catalogue : Primevère et l’ange, Le Raton laveur et le Maître d’hôtel, Fumets et fumées, Le Fil d’Ariane, Le Cabinet chinois, Baroque, Vie du sage Prospéro, Les Jardins de Marguilène

 

Note : de Francis de Miomandre, sont disponibles les titres suivants : Le Radjah de Mazulipatam (Editions Kailash), Eloge de la laideur (Cartouche), Mon Caméléon (L’esprit des Péninsules)        

 

Frédéric Chef

 

Rémi Rousselot, Francis de Miomandre un Goncourt oublié, préface de Jean Chalon, La Différence, septembre 2013, 256 pages, 20 €

 

Francis de Miomandre, Écrit sur de l’eau, La Différence, coll. « Minos », septembre 2013, 192 pages, 8 €

 

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