Une vérité qui soit verte : Francis Ponge

Le livre de Ponge marque un point essentiel de la création poétique. L'auteur en effet par ce travail fait émerger une nouvelle branche des études littéraires : la génétique textuelle que le livre de Jean Bellemin-Noël, Le texte et l’avant-texte théorisera quelques années plus tard, en 1972. La perfection supposée du poème final se voit confronter à ce qui l'a préparée. Francis Ponge  donne à lire, les états successifs du texte final. Il a obtenu de l’éditeur – Albert Skira – qu’il intègre dans le volume la reproduction, en fac-similé, de brouillons manuscrits, émaillés de soulignements, ratures, notes marginales plus ou moins déchiffrables du Pré, dont la version originale fut publiée en 1964 dans la revue Tel Quel (n° 18).

Une telle publication n'allait pas de soi, tant elle heurtait les habitudes éditoriales, et il fallut sans doute les liens personnels d’amitié noués avec Skira pour que soit entériné le principe de ce volume dans la collection "Les sentiers de la création" dont Gaëtan Picon assurait la direction.  La présence du livre en un tel lieu d'édition tient  en effet du paradoxe : les écrits de Ponge sur la littérature, sa pratique de la poésie se veulent  la déconstruction du mythe de la création. Le poète se pense plutôt en producteur ou en fabricant qu'en créateur. Mais c'est ce qui fait toutefois  la force du livre.

Depuis 1942 et la publication de son premier recueil important, Le Parti pris des choses, Ponge avait fait entendre dans le monde des lettres une voix originale. Il y opère un décentrement de la poésie du sujet et du lyrisme personnel vers les objets. Et le pré est un de ces "objets". Plus large et moins discernable que l’huître, le cageot ou  le savon  il appartient néanmoins  au monde matériel pour lequel le poète inventa une forme de célébration qui est aussi une nouvelle manière de dire.

Pour évoquer le pré, le poète use de toutes les ressources de la parole qui devient l'écho sonore et polysémie des mots : Près de la roche et du ru, / Prêt à faucher ou à paître, / Préparé pour nous par la nature, /Pré, paré, pré, près, prêt. Les croisements de sens visent à créer un langage plein qui se déplie là où dit Ponge, La parole y convient plutôt que la peinture / Qui n’y suffirait nullement.
Tout est dit dans ce travail où le pré renaît autrement. Quant au dossier génétique, il aide à mieux saisir et comprendre comment une vérité devient verte en une réflexion sur le langage mais aussi sa création.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Francis Ponge, La fabrique du pré, Gallimard, février 2021, 144 p.-, 20 €

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