Écrivain français (1925-1971) dont l'œuvre est marquée par le mysticisme, l'aventure et un engagement proche de la folie

Biographie de François Augiéras (1925-1971), le dernier primitif

« Dans la mesure aussi où je vivais à l'écart un peu du siècle, je me découvrais plus qu'un autre sensible à à l'été qui me saoulais de bonheur, et qui résonnait lourdement dans ma chair. [...] je vivais dans un état de magie, et la beauté de la végétation me séduisait. »
(François Augiéras, L'Apprenti sorcier)

Nul, sans doute, plus que François Augiéras, ne mérite de notre attention tant il diverge par sa vie et son œuvre des canons du siècle et des forfaitures nombreuses des gens-de-lettres. Serge Sanchez lui consacre, enfin, une biographie accessible, détaillée et passionnée qui permettra, espérons-le, de donner à ce « diable ermite » le lectorat qu'il mérite. Car il n'est jamais question de rien d'autre : Augiéras est une figure essentielle à notre conception de la littérature, faite d'engagement personnel, d'appel de forces supérieures et de nécessité. Rien n'est superflu dans ce parcours. Tout confine à l'exemplaire.

Augiéras est l'homme de deux lieux géographiques divers, les rives de la Vézères et les sables du désert. C'est dans l'isolement de l'un et l'autre qu'il trouve sa vérité. Car François Augiéras, égaré dans un siècle fou, est avant tout un solitaire, voire un mystique tel qu'il n'en est plus : qu'il vive dans une grotte périgourdine ou un Oued algérien, il est seul face à la nature, il est seul pour affronter l'immensité primitive des peuplades qui chevauchent dans sa tête. Deux géographies intérieures également, celle des hommes et celle de la solitude, double théâtre où il expose cette vie qu'il offre toute entière dans son œuvre.

Né en 1925 d'un père musicien, qui meurt très vite, il sera élevé par sa mère et sa grand-mère, à Paris puis en Périgord, mais sera toujours un peu trop fantasque sans être trublion pour entrer dans la lignée bourgeoise. C'est un oncle, l'aventurier de la famille, qui lui montrera la voie de l'indépendance. Cet oncle, qu'il ira rejoindre dans sa caserne du désert, c'est l'image du maître qui enseigne la vie et la mort, l'amour et la violence de la vie, et qui prendra figure dans l'œuvre sous les traits du moine (L'Apprenti sorcier) ou du vieux militaire violent (Le Vieillard et l'enfant). Adolescent, Augiéras apprend la liberté et 'errance : il entre dans une troupe de théâtre itinérant et rejoint les mouvements de la jeunesse pétainiste, sans iéal politique, mais pour communier avec la nature. Le retour à la terre est con sidéré ici au sens propre. En 1944, il prend son chemin et s'engage dans les FFI : il traverse la Méditerranée et va chercher son oncle, sera encore, après la Libération, mendiant ou berger, mais aura atteint son solstice et connaîtra la vraie grandeur et la vraie solitude de l'homme.

C'est au désert qu'il commence d'écrire, d'abord sous la forme d'un carnet (qui deviendra plus tard Le Voyage des morts) puis en racontant sa vie. Il prend le nom d'Adballah Chanba et signe chez Fanlac Le Vieillard et l'enfant (1949) dont le succès d'estime est immédiat. Le reste de sa vie sera sur ce modèle : âpre et doux à la fois. Peintre d'une grande inspiration première, ses ocres ont la profondeur des anciens temps, sans atteindre aux exigences de l'iconographie des moine du mont Athos qu'il révère tant. Sa vie, faite d'art et de nature, de communion par l'art avec la nature et d'élan animistes de plus en plus fervent (il aurait fait l'amour avec la terre, d'un trou dans le sol...), s'achèvera en Périgord, comme un retour à l'éternel et à sa source.

Il meurt en 1971, miséreux d'hospice, laissant une œuvre forte « patronnée » par André Gide (dont il fut l'amant furtif) et reconnu par quelques-uns comme essentielle. Toute son œuvre fera scandale, tant il présente avec sincérité des expériences de vie (souvent sexuelles) de nature à choquer le bourgeois. Mais, au-delà, une écriture d'une simplicité toute mystique, des récits souvent initiatiques (Le Voyage au mont Athos en est l'archétype, le plus beau d'entre tous) et une envie de vivre par-dessus les contingences mêmes de la vie font de François Augiéras un personnage à part de l'histoire littéraire. Reclus volontaire hors du siècle, hors du temps.

Les écrits de François Augiéras sont imbriqués dans sa vie réelle et sa vie psychique, au point de former un ensemble de mythes qui en font à la fois un mystique perdu dans ce siècle mécanique et jouisseur. Car la sexualité homosexuelle, même avec une différence d'âge qui confine à la pédophilie (qu'il soit le plus âgé ou le plus jeune...), est pour Augiéras source d'unité, la recherche du Un qui saura faire entendre les secrets du monde. Ce sont ces écrits, analysés et lues avec beaucoup d'empathie, qui font le parcours de vie que dessine Serge Sanchez dans sa biographie. Rien n'est laissé au hasard, ni les tracas de la vie de bohème quand il erre dans une France occupée, ni la réclusion volontaire dans les grottes du Périgord, ni encore les affres du désert dont il souffre mais dont il joui également.

D'une grande richesse de détail et d'analyse, portant son sujet (pourtant difficile) assez haut pour qu'enfin il soit vu, Serge Sanchez signe une biographie qui aura le mérite, entre autres, de révéler la figure d'un astre, d'un extraordinaire de la littérature, d'un irréductible, d'un maître.


Loïc Di Stefano


Serge Sanchez, François Augiéras, le dernier primitif, Grasset, Mars 2006, 455 pages, 20,90 euros
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